Chroniques

par laurent bergnach

archives Les Percussions de Strasbourg
édition du cinquantième anniversaire

1 coffret 15 CD Accord (2012)
480 6512
Les Percussions de Strasbourg | édition du cinquantième anniversaire

Si le festival Musica montra de l’avance, l’an passé, pour célébrer le demi-siècle des Percussions de Strasbourg [lire notre chronique du 22 septembre 2011], le label Accord attendit l’automne suivant pour proposer une rétrospective de l’un des ensembles les plus connus de France, dans un genre pourtant réputé ardu, voire ingrat mais qui, par son aspect « spectaculaire », parle à tous. Ainsi, même sans être fanatique de cet organum, il est fort à parier que chacun a au moins une œuvre de prédilection dans le domaine. Pour notre part, parmi quinze CD dont certains déjà connus de nos lecteurs – Le noir de l’étoile de Grisey [lire notre critique du CD] et Le scorpion de Matalon [lire notre critique du CD] –, nous retrouvons avec émotion Épervier de ta faiblesse, domine ! (Stibilj), pièce sur un poème de Michaux partagée avec des lycéens de Nancy, il y a vingt-cinq ans, dans le cadre d’un travail universitaire.

Cinquantenaire, disons-nous.
En 1959, réunis à l’occasion du Visage nuptial de Boulez, six percussionnistes empruntés aux deux orchestres locaux (municipal et de Radio-Strasbourg) se posent la question de la formation d’un groupe dédié à leur(s) instrument(s). Celui-ci se forme autour de Jean Batigne, un élève de Félix Passerone qui ouvrit sa classe au Conservatoire de Paris en 1947. Le premier concert officiel a lieu à l’ORTF, le 17 janvier 1962 (Bartók, Nigg, Varèse). Dans un premier temps, le répertoire manque encore, puis tout s’inverse, rendant indispensable ce qui avait encore pour nom Groupe instrumental à percussions.

Les invitations pleuvent et les voyages se multiplient qui donnent l’occasion d’enrichir l’instrumentarium de base (gong de Bali, cymbalettes chinoises, etc.), tout comme y contribue le travail avec les compositeurs (cloches à vaches avec Messiaen, ou le sixxen créé au contact de Xenakis). Tout se fécondant mutuellement, la technique évolue, l’écriture également. En « artisan du son », l’instrumentiste s’improvise souvent bricoleur, mais doit aussi s’adapter à la révolution électronique (Mâche, Monnet, Pampin, Racot, etc.) et à la collaboration sur des spectacles – Les Arpenteurs [lire notre chronique du 9 novembre 2007], par exemple, défendus des dizaines de fois sur scène, ou le récent Limbus-Limbo [lire notre chronique du 4 décembre 2012].

Aujourd’hui, le répertoire pour « orchestre de percussions » compte des centaines d’œuvres. On retrouve dans ce coffret près de cinquante d’entre elles, certaines fondatrices (Dufourt, Levinas, etc.), d’autres faisant office de « paliers » – dixit Jean-Paul Bernard, membre de la formation depuis 1986 et son actuel directeur artistique. Très souvent liée à une esthétique précise (avant-garde engagée, spectrale, asiatique, etc.), elles sont attachées à la nudité du sextuor (Amy, Aperghis, Cage, Campion, Chavez, D’Adamo, Kabelac, Louvier, Manoury, Ohana, Scherchen, Serocki, Shinohara, Taïra, etc.), voire d’un solo, comme à la fréquentation d’autres instruments – quatre saxophones (Denissov), trois contrebasses (Schat), une flûte (Silvestrov), un piano (Boucourechliev) ou encore la voix (Puig).

Enfin, aux côtés d’une réduction d’Ionisation (Varèse), signalons la présence d’une pièce collective de plus de cinquante minutes – Entente préalable (2000-01), à laquelle ont participé Drouet, Hurel, Jarrell, Lauba, Leroux, Pesson, Romitelli, Singier, etc. – et celle de pages n’étant pas exclusivement percussives mais annonciatrices des bouleversements sonores des années soixante – Sept haïkaï, Et exspecto resurrectionem mortuorum, Couleurs de la cité céleste (Messiaen), Le marteau sans maître (Boulez). Un fascinant parcours !

LB