Chroniques

par laurent bergnach

Aribert Reimann
Die Gespenstersonate | La sonate des spectres

1 DVD Arthaus Musik (2012)
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Friedemann Layer joue Die Gespenstersonate (1984), un opéra de Reimann

Partageant avec Ballif, Huber et Crumb l’enseignement de Boris Blacher (1906-1975) – un créateur redécouvert grâce à une intégrale des cinq quatuors [lire notre critique du CD] et à l’opéra-ballet Preußisches Märchen [lire notre critique du DVD] –, Aribert Reimann (né en 1936) n’a pas trente ans quand il livre son premier ouvrage lyrique. Il s’agit d’Ein Traumspiel (Un jeu de rêve, 1965), dont le livret de Carla Henius s’inspire de la pièce éponyme d’August Strindberg. Entre Lear (1978) et Troades (1986), le Berlinois revient à l’œuvre du dramaturge en adaptant cette fois Spöksonaten (1907) pour l’opéra de chambre Die Gespenstersonate (La sonate des spectres), donné en création mondiale le 25 septembre 1984 au Hebbel-Theater (Berlin).

Si l’œuvre est chantée en allemand, Reimann a mis en pratique sa connaissance du suédois pour un livret des plus fidèles, conçu avec Uwe Schendel. On y découvre l’étudiant Arkenholz qui, après une nuit de catastrophe passée à soigner des blessés, rencontre avec effroi le vieux directeur Hummel, le pire ennemi de son père. Le fait que le jeune homme voit des choses invisibles aux autres (comme des morts qui réclament justice) n’est pas le plus étrange, à l’heure où se prépare l’immuable « souper des spectres », chez le Colonel. On y croise notamment la Momie, la femme du (faux ?) militaire, maintenue dans un placard depuis sa lointaine nuit d’amour avec Hummel, et qui se prend pour un perroquet. De façon inattendue, elle fait des révélations qui bousculent le rituel tranquille dont Hummel pensait ressortir plus dominateur que jamais.

Grâce à la chaîne de télévision berlinoise SFB, un film témoigne de cette production mise en scène par Heinz Lukas-Kindermann, un habitué du répertoire classique, qui parie sur la sobriété, sans esbroufe ni fausse route, avec l’appui de Dietrich Schoras pour les costumes et les décors. On apprécie avant tout ce plafond transparent, en plan incliné, qui permet de saisir, sans pouvoir l’approcher, un monde parallèle polysémique.

Tandis que la fosse est assurée par le tout jeune Ensemble Modern (fondé en 1980) conduit par un Friedemann Layer pas encore montpelliérain, les planches sont arpentées par des chanteurs en lien avec la Deutsche Oper Berlin, dont l’écriture souligne les points forts. Cette sensibilité au chant est une constante chez Reimann qui, jeune répétiteur, fréquenta des artistes tels Dietrich Fischer-Dieskau et Matha Mödl pour lesquels il conçu respectivement les opéras Lear [lire notre chronique du 17 mai 2014] et Melusine (1971).

Interprète de personnages hors du commun [lire notre critique des CD Parsifal, Lulu et Œdipus Rex], le soprano devenu mezzo surprend une fois encore ses admirateurs en Momie tragi-comique. Hans Günter Nöcker (Hummel) allie stabilité et puissance, préférant la nuance à l’agressivité. Donald Grobe (Johansson) ne manque pas de vaillance ni William Dooley (Bengtsson) de souffle et de maîtrise. Le duo « amoureux » est un point final mémorable entre David Knutson (Arkenholz), soumis à des tensions entre registres dont il sort gagnant, et Gudrun Sieber (La Demoiselle), au chant facile et caressant. Le récent Medea (2010) [lire notre critique du DVD] avait laissé un souvenir périssable ; cette Gespenstersonate, en revanche, va nous hanter longtemps…

LB