Chroniques

par laurent bergnach

Attraction d’amour, portrait de Riccardo Chailly
Embarquement pour Cythère, portrait de Luciano Berio

1 DVD Idéale Audience International (2005)
Juxtapositions 1
Portraits de Luciano Berio et Riccardo Chailly

Dans le monde de la série télévisée, on parlerait de crossover. Le présent DVD regroupe en effet deux reportages, à priori sans rapports l'un avec l'autre : le premier sur les relations de Riccardo Chailly avec le célèbre Royal Concertgebouw Orchestra, le second sur Luciano Berio et sa pièce Sinfonia, écrite en 1968. Mais des ponts ont été jetés entre Attrazione d'Amore (1998) et Voyage to Cythera (1999), avec Gustav Mahler comme pilier central, et chacune des vedettes devient l'invité de l'autre, à tour de rôle. L'ensemble jouit donc d'une grande cohérence – avec des apparitions de Haitink, Muti et l'émouvante Maria João Pires. On regrette seulement les visions aquatiques de Frank Scheffer lors du Voyage, pauvrement illustratives.

L'arrivée d'un nouveau chef à la tête d'une formation est souvent problématique. Les musiciens du Concertgebouw redoutaient chez l'Italien une « virtuosité de surface », ils ne s'en cachent pas. Et puis, tous se sont apprivoisés – Berio parle de son compatriote comme d'un des musiciens les plus sains qu'il connaisse. Si ce portrait s'ouvre et se ferme sur la Mattheus Passion de Bach, c'est la répétition de la 5ème de Mahler qui sert de fil rouge à de nombreuses évocations, comme ses liens avec Mozart ou Puccini. Chailly évoque ce premier mouvement où « le franchissement de chaque mesure demande un effort », de cette « simplicité nécessaire » sur l'Adagietto, pour respecter l'œuvre du Viennois, « sentimentale sans sentimentalisme », où les choses sont dites sans ambiguïté – ce qui n'empêche pas d'aller voir plus loin que l'indication. Porter un nouveau regard, c'est également dépoussiérer le répertoire d'un orchestre, et aborder avec ce dernier le génial Varèse, en avance de cinquante ans sur son époque.

Pour Berio aussi, Mahler a ouvert la musique à la modernité. Il est un « point de rencontre », et c'est pourquoi la Sinfonia fait référence à cet héritage, pouvant être entendue comme un commentaire du Scherzo de la 2ème Symphonie du Viennois. Mais l'ouvrage cite également une quinzaine de compositeurs, parmi lesquels Debussy, Strauss, Beethoven, Boulez ou Stockhausen. Le sceptique parlera de simple collage, alors que Bach, à partir de chorals préexistants, n'a pas composé autrement certains de ses chef-d'œuvres. Berio évoque encore Mahler, sa rencontre avec Schönberg en 1909 – cet autre chantre de l'expressionnisme –, et aussi Stravinsky, remarquable pour son art de la transcription, sensible dans Noces. Et de conclure : « Un musicien doit rester en prise avec la réalité ».

LB