Chroniques

par laurent bergnach

Aurélien Dumont
œuvres variées

1 CD NoMadMusic (2015)
NMM 023
monographie Aurélien Dumont regroupant cinq œuvres variées (2011-2014)

Avant de partager sa vie entre Tokyo et Paris, Aurélien Dumont (né en 1980, à Marcq-en-Barœul) étudie l’art-thérapie à Tours, puis la composition dans deux institutions de la capitale française : le CNSMD (classe de Gérard Pesson, où il obtient son master de composition distingué par le prix Salabert) et l’Ircam (au sein des cursus 1 et 2 en composition et informatique musicale). Remarqué lors de nombreux concours internationaux, son travail l’est aussi par notre équipe, grâce à Sérieux gravats - Nara II (Royaumont, 2010) et Abîme apogée (Milan, 2013) [lire nos chroniques du 18 septembre 2010 et du 20 juin 2014].

Cette monographie permet d’approfondir notre connaissance du créateur, à travers solo, trios et ensembles variés, que nous regroupons selon l’usage ou non de l’électronique – plaçant Thét(r)is avec Eglog, car même si l’on y entend un stylophone (1967), ce clavier miniature est joué en direct, de même que vibraphone et piano préparé. En définitive, nous aurions obtenu les mêmes bouquets en réunissant les opus utilisant la voix ou ceux résolument ludiques, genre de récréation à des projets introspectifs.

Eglog (Paris, 2011) répond à la singularité du Trio Dauphine, dédicataire de l’œuvre – Maud Giguet (violon baroque), Marie Van Rhijn (clavecin), Clara Izambert (harpe). Ici revit le salon du XVIIIe siècle, avec ses joutes oratoires, ses échos de Rameau. Le texte de Dominique Quélen évoque les ingrédients d’innombrables pastorales avec une tendre malice (« On vous tient donc, moutons, berger, bergère, on vous surveille, on voit partout l’usure, la trame abîmée, le bois de convention, bientôt débité en billes »). Réfléchir sur les possibilités d’une telle formation inclut d’incorporer la voix des interprètes, parlée, chantée ou déclamée.

À son tour, Thét(r)is (Marseille, 2014) marie l’époque de Thétis (ca 1715) à celle du Tetris (1984). Le poète Quélen s’y amuse encore, truffant le texte anonyme de la cantate de Rameau de nombreux « blocs » et « bâton » caractéristiques du jeu vidéo de Pajitnov, tout en faisant disparaitre la lettre « r » avec un art oulipien (lipogramme) – « Le fier Dieu du tonnerre » devient « beau Dieu des typhons » ! Les notes de l’auteur d’Anacréon (1754) [lire notre critique du CD] rencontrent celles de Korobeïniki, chant folklorique russe accompagnant d'ordinaire la chute des briques… Le Trio Be & See réunit Vincent Bouchot (ténor-baryton), Denis Chouillet (piano) et Sylvain Lemêtre (percussion).

Page liée à la cosmologie chinoise et à la figure d’Hildegarde von Bingen, où s’affirme un goût pour hybridation et camouflage, Abîme apogée jouit de la maîtrise de l’ensemble Klangforum Wien, guidé par Jean-Michaël Lavoie, et d’un chœur Aedes lumineux. La même année voit le jour Échappées - pauses pluitées (Liège, 2013), version pour violoncelle solo d’Épopées - pauses pluitées (Bruxelles, 2012), opus orchestral reposant sur une comptine japonaise très populaire du XVIe siècle, Toryanse. Rompue aux créations [lire notre chronique des 25 juin et 12 décembre 2016], Jeanne Maisonhaute y évolue entre mélancolie et expressivité.

Terminons avec Fables asséchées (Berlin, 2014) qu’inspire un roman de Yōko Ogawa, Cristallisation secrète (1994), dans lequel les objets disparaissent étrangement du quotidien d’insulaires, jusqu’à transformer souvenirs et émotions. Une réflexion sur le réseau (liens, connections, etc.) anime sept petits mouvements pétris d’éléments hétérogènes : sons concrets, objets esthétiquement modifiés (OEM) recyclant une musique rock, baroque, médiévale, etc. L’électronique ouvre sur l’horizon un espace acoustique confiné, mais par là-même renforce l’impression de perdition, d’égarement. Pierre-André Valade dirige l’Ensemble Orchestral Contemporain.

LB