Dossier

dossier réalisé par gilles cantagrel
leipzig – juin 2009

Bachfest 2009
quand Leipzig fête Bach

Le traditionnel Festival Bach de Leipzig vient de s'achever. Quelque quatre-vingt quinze manifestations en onze jours (du 11 au 21 juin), dans une ville en fête : rarement le mot de festival n'a été aussi justifié qu'ici. Bachfest : Fête Bach ! Voici un peu plus de cent ans qu'est né l’évènement, devenu depuis une institution. Coordonné depuis Leipzig, il tourne chaque année de ville en ville à travers l'Allemagne et, en plus, désormais, tous les ans dans la cité saxonne. C'est à une fête peu banale que l'on participe dans cette ville ardente qui n'en finit pas de ressusciter depuis vingt ans.

à Leipzig, chaque année la Bachfest célèbre la gloire du fameux cantor
© bertrand bolognesi

Car la Bachfest investit tous les lieux possibles de la cité. Les églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, bien sûr, le Gewandhaus et l'Opéra, mais aussi de nombreux autres, divers temples, salles de théâtre et de musique de chambre, atrium d’une banque ou du tribunal administratif, l'ancien Hôtel de Ville gothique et la vieille Bourse baroque, le salon de musique de l'appartement de Mendelssohn, le conservatoire, etc. Voilà qui nous mène jusqu'au Café Saint-Thomas, au jardin zoologique et même en cinq points dans la gare ! À tout instant, il se passe quelque chose. Le spectacle est aussi dans la rue et les passages, sur les places et aux carrefours. Ici, un vibraphoniste joue des préludes et fugues, un quatuor de jeunes aux flûtes à bec, un accordéoniste, une chanteuse, un trio de jazz. Et la foule se presse vers les lieux de concerts, arrivant parfois une heure à l'avance et bavardant avec d'autres auditeurs, comme à une réunion de famille où l'on est heureux de se retrouver. Les passionnés peuvent aussi participer aux excursions organisées aux environs pour aller écouter des orgues historiques ou suivre des conférences et présentations de concerts, voire rencontrer les artistes.

Au programme ? Bach, bien sûr. Cantates, pages d’orchestre, musique de chambre, œuvres pour clavecin et récitals d'orgue, Messe en si et Passion selon saint Matthieu, cette année. Toutes les forces musicales de la ville y participent, mais aussi de nombreux artistes et formations extérieurs, de divers pays d'Europe et même au-delà. Et cela dans la plus grande diversité d'approches, sans le moindre sectarisme. Les partis pris esthétiques sont multiples, à l'exemple de l'universalité de Bach, des « baroqueux » de stricte obédience aux interprétations romantiques ou modernes et aux adaptations diverses, en jazz notamment, voire en spectacles scéniques et chorégraphiques. Aucun dogmatisme, aucune exclusive, si ce n'est celle de la qualité, jusque chez les musiciens de rues qui, eux aussi, jouent, chantent et dansent la musique de Bach pour le plus grand bonheur des passants attroupés. Des programmes sont présentés par séries thématiques, comme Bach familier, concerts-promenades, L'harmonie du monde ou Bachmosphäre. Un concert donné par le quintette de Nigel Kennedy en plein air, sur la grande Augustus Platz, attirait une foule considérable de milliers d'auditeurs ravis – concert gratuit, bien sûr. Autour de Bach, les musiques de son temps, Händel, Telemann et les autres, ainsi que d'autres encore jusqu'à nos jours, de compositeurs ayant cultivé et cultivant la musique et la pensée de Bach.

Au nombre des temps forts de cette année 2009, on s'en doute, les manifestations liées au deux-centième anniversaire de Mendelssohn. Comme Bach, il avait adopté Leipzig ; lui aussi y finit ses jours et s’y trouve aujourd'hui objet de vénération – il a tant fait pour la gloire de Bach ! On peut visiter le ravissant appartement qu'il habita, un vitrail lui est consacré dans l'église Saint-Thomas, on vient d'inaugurer la belle statue de bronze reconstituée que les nazis avaient déboulonnée et fondue. Exceptionnellement cette année, le concert d'ouverture rendit hommage à Mendelssohn, avec une exécution exemplaire, sous les voûtes de Saint-Thomas, de son oratorioElias. À un chœur de Berlin s'était joint l'Orchestre symphonique de Jérusalem, réunion d'Allemands et d'Israéliens fraternisant dans la musique dont la très forte portée symbolique n'échappait à personne.

pas une rue de Leipzig n'est épargnée par la musique de la Bachfest 2009
© bertrand bolognesi

Un moment d'Histoire de la musique : la reconstitution exacte du concert donné sous l'autorité de Mendelssohn le 23 avril 1843, pour fêter l'inauguration du monument qu'il avait fait réaliser et ériger, en partie sur ses deniers personnels, près de Saint-Thomas où il se trouve encore de nos jours. N'y manqua pas le Concerto en ré mineur, joué comme alors sur hammerflügel. Le thème de l'année associait au nom de Mendelssohn celui de Max Reger, ardent défenseur de Bach ayant lui aussi adopté Leipzig où il dirigea le Conservatoire, Reger qui marqua la fin de l'ère ouverte par Mendelssohn, celle de la découverte de la musique de Bach par les Romantiques.

La Bachfest vit du soutien de quelque vingt-cinq partenaires, dont celui, très important, permanent et efficace, des autorités, en particulier municipales. La ville participe largement, en effet, dans les domaines administratif et financier, mais aussi intellectuel. On rencontre le maire aux concerts, son adjoint à la culture suit personnellement les travaux du Conseil de surveillance de la fondation Bach-Archiv. Basée à Leipzig, celle-ci gère et coordonne la recherche internationale sur le grand compositeur et cantor, avec sa propre équipe de musicologues, qui ces dernières années nous valut quelques découvertes sensationnelles. Elle a, en outre, la responsabilité des publications scientifiques, du musée, de la bibliothèque, du festival et, tous les quatre ans, du Concours international Bach. La radio et la télévision publiques sont elles aussi largement impliquées, de même que les manifestations font l'objet d'une vaste couverture médiatique. Tous les institutionnels locaux sont conscients qu'ils défendent et illustrent un élément du patrimoine national qui est aussi patrimoine de l'humanité. Et ils le font avec un engagement et un enthousiasme auxquels nous ne sommes guère habitués.

Est déjà paru le programme prévisionnel de 2010, qui aura lieu aux mêmes dates : du 11 au 20 juin. Parmi les artistes invités, John Eliot Gardiner, Paul McCreesh, Riccardo Chailly, avec la participation toujours très active du successeur de Bach, bien entendu, l'actuel cantor de la Thomaskirche, Georg Christoph Biller, qui assure pour partie la direction artistique du festival. Ce sera aussi l'occasion de visiter le nouveau musée Bach, inauguré le 21 mars précédent. Comme l'ancien, il est établi dans la Maison Bose, en face du portail de Saint-Thomas, la seule maison ancienne du secteur ayant échappé aux bombardements et qui se trouve être celle de la famille d'un riche marchand de Leipzig amie de ses voisins, les Bach… Après trois ans de travaux, le musée rouvrira donc dans des locaux agrandis et nouvellement aménagés. Et pour la première fois, on pourra y admirer des manuscrits autographes du compositeur dans un« cabinet du trésor », dit-on.

C'est bien toute la ville qui respire d'un même souffle, d'un même élan dans cette immense fête : des passionnés venus du monde entier, mais aussi de nombreux Allemands, heureux de participer à cette célébration de l'un de leurs héros nationaux. Qui donc osera encore dire que Bach serait rébarbatif et élitiste, les deux allant forcément de pair, comme on l'entend encore si souvent dire chez nous, y compris par certains de nos responsables politiques et culturels ? Bach mettait tout son génie à composer pour l'homme de la rue tout aussi bien que pour Auguste le Fort ou Frédéric II. La Bachfest le prouve à tout instant.