Chroniques

par laurent bergnach

Bernard Girard
Conversations avec Tom Johnson

Éditions Aedam Musicae (2011) 164 pages
ISBN 978-2-919046-03-4
Conversations de Bernard Girard avec Tom Johnson

Philosophe et spécialiste de l’avant-garde – il a notamment écrit un ouvrage de référence sur le lettrisme –, Bernard Girard rend compte, à travers ce livre de conversations, de la personnalité et du travail de Tom Johnson. L’initiative est heureuse car le compositeur et théoricien américain (né dans une petite ville du Colorado, en 1939) paraît moins connu que reconnu comme l’un des pionniers de la « musique minimale » – une expression qu’il a lui-même utilisé pour la première fois en 1971, dans un article consacré à Alvin Lucier, alors qu’il était critique pour Village Voice, la revue de l’intelligentsia new-yorkaise –, cette musique variée qui peut-être répétitive, de bourdonnement, voire silencieuse.

Comme d’autres compatriotes après-guerre, Johnson se rebelle contre la complexité de la musique sérielle, privilégiant la réduction du matériel, dans un mélange de sobriété et d’humour, de reconnaissance et de surprise. « Je n’aime pas la musique secrète, insiste-t-il, obscure, ésotérique, occulte, qui se cache. Je veux faire une musique ouverte, aimable, qui communique… » Le modèle européen laisse place à d’autres sources d’inspiration venues d’Orient ou d’Afrique, mais les mathématiques demeurent une « armature à la composition » (comme dirait Boulez) : comptage, théorie des nombres et analyse combinatoire imposent des contraintes avec lesquelles s’arrange le créateur de L’opéra de quatre notes [lire notre chronique du 19 octobre 2005], leur donnant un sens.

Au milieu des années soixante-dix, en Europe, le succès d’Einstein on the Beach (Philipp Glass) met à la mode la musique américaine minimaliste. Johnson s’installe à Paris au début de la décennie suivante et constate une différence culturelle d’importance : « les salles étaient pleines au Centre Pompidou pour des concerts de Webern. […] À New York, pour avoir un public et être invité dans un festival, il est important d’être accessible, d’amuser le public, de ne pas être trop sérieux ». Si son passage à l’Ircam lui apporte beaucoup, il lui faut reconnaître que la France, éprise de complexité, accueille moins bien ses créations que l’Allemagne, la Hollande ou la Suisse.

Au fil des pages, « l’homme qui compte » (dixit Murail) évoque les rencontres importantes de sa vie – ses professeurs Allen Forte, Yehudi Wyner et Morton Feldman ; ses amis musiciens Phill Niblock et Frederic Rzewski – mais aussi des artistes divers – Jackson Mac Low avec sa poésie sonore, –, qui contribuent à la richesse culturelle de plusieurs décennies, de part et d’autre de l’Atlantique. Il revient évidemment sur ses propres créations – Nine bells (1979), Narayana’s cows (1989), Bonhoeffer Oratorium (1988-92), etc. –, pièces souvent autoéditées dont la genèse est livrée avec plus ou moins de détails, qui en feraient l’héritier légitime de Cage si ce dernier n’avait pas laissé tant de place au hasard.

LB