Chroniques

par pierre-jean tribot

Bohuslav Martinů
œuvres pour orchestre

1 SACD Capriccio (2005)
71 053
Bohuslav Martinů | Mémorial pour Lidice – etc.

L'œuvre de Bohuslav Martinů peine quelque peu à s'imposer au disque et au concert. Ses opéras, comme Juliette ou la clé des songes, connaissent quelques productions, ses symphonies et ses quatuors sont programmés, mais l'engouement pour ce compositeur reste hélas bien timide par rapport à l'immensité de son legs : pas moins de quatre cents partitions. Pourtant sa musique, profondément tchèque, dégage une intense humanité.

Le présent programme débute par une des plus célèbres de ses œuvres : Mémorial pour Lidice (Památník Lidicím). Cette création fut écrite en hommage aux martyrs de la ville de Lidice dont la population avait été décimée, le 10 juin 1942, par les troupes nazies en représailles à l'assassinat de Reinhard Heydrich, le chef du Protectorat pronazi de Bohême-Moravie. Intense, tendue et violente dans ses contrastes, cette pièce n'en présente pas moins une esthétique classique tirée du concerto grosso baroque. James Conlon, qui est déjà l'auteur d'un double album consacré à des pièces concertantes de Martinů (chez Erato avec l'Orchestre National de France), maîtrise le sujet, mais l'on aimerait plus d'engagement dramatique. L'Orchestre du Gürzenich de Cologne fait valoir sa cohésion et ses timbres un peu verts qui conviennent bien à cette musique.

La suite du disque exclusivement dédié à de rares pièces concertantes. Le Concertino et le Concerto pour trio avec piano et orchestre à cordes ont été composés en 1933, pourtant la partition du premier ne fut créée qu'en 1963, à Lucerne. Si elles respectent une structure classique des plus solides, ces deux œuvres n'en sont pas moins très différentes. Le Concertino est sombre et tendu, alors que le Concerto se révèle lyrique et apaisé. Il n'en s'agit pas moins de deux superbes pages à l'instrumentation d'une belle efficacité.

La merveille de ce SACD réside dans la Rhapsodie pour alto et orchestre de 1952. Écrite peu avant le départ du compositeur des États-Unis vers l'Europe, cette pièce est une œuvre de transition dans le style de l'auteur qui évolue vers une plus grande liberté formelle. Le ton général s'affirme léger, alors que sa finesse enlevée lorgne vers la musique populaire.

Tout au long de ce parcours concertant, James Conlon s'impose comme un chef précis et attentif aux moindres sollicitations de ses solistes. La prestation de l'altiste Tabea Zimmermann et du Trio Wanderer sont des modèles de style et d'engagement. Ces musiciens se fondent avec talent dans le discours concertant et le dialogue avec les pupitres de l'orchestre est idéal. Servi par une superbe prise de son, ce disque s'avère indispensable à notre connaissance d'un des plus importants compositeurs du siècle dernier.

PJT