Chroniques

par laurent bergnach

Boris Blacher
intégrale des quatuors à cordes

1 CD EDA (1994)
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Boris Blacher | intégrale des quatuors à cordes

Arrivé de Sibérie à Berlin en 1922, le jeuneBoris Blacher (1903-1975) commence par étudier l'architecture et les mathématiques, avant de succomber aux charmes de la métropole : à l'époque, le ton impertinent, largement accessible de sa musique, viendra moins du conservatoire que des bars de jazz, des salles de danse et des cinémas – il arrange d'ailleurs de la musique de danse et accompagne des films muets à l'harmonium, « une fantastique école de la vie au quotidien », comme dira plus tard ce passionné d'improvisation. Son intérêt pour un art plus fonctionnel qu'ésotérique se retrouve même dans le quatuor, genre plutôt vénérable. C'est l'époque de Hindemith et de Weill, et lui-même n'hésite pas à cultiver une certaine distance ironique.

Blacher compose donc son Quatuor n°1 en 1930, après une décade très marquante pour lui. On l'a longtemps cru perdu, jusqu'à la découverte, au début des années soixante-dix, d'un manuscrit de sa main chez un copiste. D'une douzaine de minutes, l’œuvre est très expressive : effets de tremolos, chromatismes, changement fréquent detempi, épisodes typiquement jazz – sensibles dès l'Allegro mais éclatants lors du Presto final.

Le Quatuor n°2 est écrit en 1940, dans un climat de diktat artistique. C'est une commande de la Biennale de Venise, où il sera reçu l'année suivante. D'une durée proche du précédent, l'œuvre se veut moderne, sans compromission avec la nouvelle esthétique souhaitée par les nazis. Le début de l'Andante, typiquement chambriste, voit bientôt son émotion secouée par des tempi variés, d'abruptes changements de dynamique. Le mouvement Sostenuto joue quant à lui avec un effet sonore résilient créé par des notes répétitives.

Le Quatuor n°3 est écrit en 1944 dans Berlin bombardé, époque où l'on écoutait la BBC ou Radio Moscou pour guetter la fin du conflit mondial et durant laquelle Blacher rêve des œuvres à venir. Celle-ci n'était pas destinée au public mais fut cependant créée en 1947. Après la ligne cantabile des violons au deuxième mouvement s'impose le boogie-woogie de l'Allegro molto, avec des syncopes épisodiques. Le Larghetto surprend par sa position en quatrième et dernière position.

Dans le Berlin de l'après-guerre, Blacher commence sa carrière et devient une figure centrale, au point que Brecht lui rend visite pour un projet d'opéra malheureusement avorté. Il devient directeur de la Hochschule für Musik (1953-1970), puis président de l'Académie des Arts (1968-1971). En 1951, il compose le bref Epitaph, à la mémoire de Franz Kafka – revenant à l'écrivain comme librettiste et arrangeur de l'opéra d'un de ses nombreux élèves, Gottfried von Einem. Variationen… (1967), le plus long de ses cinq quatuors, développe un thème en ut mineur sur quatorze variations – soit « la routine », disait le compositeur. L'œuvre est cependant pleine de surprises pour l'auditeur et d'une grande exigence pour les interprètes.

Remercions le Quatuor Petersen de nous faire participer, depuis sa formation en 1979, à des redécouvertes de Schulhoff, Klein et, aujourd’hui, Blacher – encore moins connu sans doute.

LB