Chroniques

par laurent bergnach

Brian Ferneyhough
Shadowtime | Ombre du temps

2 CD NMC (2006)
D 123
Brian Ferneyhough | Shadowtime

Premier opéra de Brian Ferneyhough (né à en 1943), Shadowtime trouve sa source dans le suicide de Walter Benjamin, archétype de l'intellectuel de son temps : fuyant l'avancée des Nazis en septembre 1940, le philosophe et écrivain entreprit une marche pénible pour passer les Pyrénées et mourut le lendemain de son arrivée en Espagne. Au moment de la création munichoise – la première eut lieu le 25 mai 2004, au Prinzregententheater –, le compositeur confiait à Philippe Albèra : « Walter Benjamin m'est particulièrement sympathique. C'était une personnalité chaotique, richement chaotique, qui n'a jamais réussi à définir sa profession, si toutefois il en avait une ». Amateur de ses écrits, le compositeur n'a cependant pas cherché la représentation d'une personnification convenue de Benjamin, mais s'est « plutôt attaché à l'examen de ses théories de la reproduction, de la métamorphose, de l'épiphanie et/ou du sens de l'histoire, et ce du point de vue d'un second niveau, la réplication ».

À partir de sources diverses, le librettiste Charles Bernstein livre des poèmes indépendants qui sont développés comme un matériau expressif, constructif ou symbolique. Ainsi, bien que le dernier jour de l'Allemand serve de prologue, pas de parcours narratif ou d'histoire individuelle ici, mais une interrogation sur la modernité et la culture occidentale à travers des pensées, des affects, des rêves à la charge d'un orchestre et d'un chœur – Nieuw Ensemble, dirigé par Jurjen Hempel, et Neue Vocalisten Stuttgart. À cet égard, Ferneyhough explique : « le chœur représente le principal élément de la continuité. Il est lié à la Renaissance, aux formes angéliques, qui ne sont ni bonnes ni mauvaises, et c'est lui qui met le monde en mouvement ».

Chacune des sept scènes de cet opéra d'un peu plus de deux heures possède son propre caractère dramaturgique, son identité sonore. Ainsi, Les Froissements d'ailes de Gabriel est un instrumental composé de cent vingt-huit courts fragments, Opus contra Naturam un passage pour pianiste/narrateur, Doctrine of Similarity un épisode en treize canons, et Pools of Darkness une suite de onze interrogatoires dont chacun est attaché à une forme musicale distincte – madrigal, rondo, passacaille, etc. S'il est difficile de saisir les détails de l'œuvre sans son livret néanmoins accessible sur internet, on est heureux de retrouver cet opéra dans lequel l'auteur avoue avoir« versé dix ans d'invention », et que la mise en scène superficielle de Frédéric Fisbach, reprise au Théâtre des Amandiers de Nanterre il y a deux ans [lire notre chronique du 26 octobre 2004], n'avait pas permis d'aborder sereinement.

LB