Chroniques

par marc develey

Charles de Courbes
Cantiques spirituels (édition critique de Marc Desmet)

Symétrie (2005) 360 pages
ISBN 978-2-914373-14-2
recueil original des trente-sept Cantiques spirituels de Charles de Courbes

Le recueil original des trente-sept Cantiques spirituels de Charles de Courbes est un in-quarto de format similaire aux publications d'airs de cour (250x175). Le fac-similé de l'édition qu'en propose Marc Desmet montre une répartition des textes et parties le plus souvent en vis-à-vis (en page de gauche, l'exergue est réservé à la première voix ; en regard les unes des autres, les autres sont reportées sur la page de droite). La qualité des lettrines et vignettes témoigne de l'art de Ballard, imprimeur de la musique du Roy, à qui fut confiée l'édition originale. Afin d'en faciliter la lecture, le volume en propose une édition soignée en notation moderne. Il se complète d'un fort utile éclairage introductif, révélant un pan de ce que fut la vie musicale du XVIIe siècle commençant.

L'auteur, Charles de Courbes, était un officier royal rattaché à la magistrature chargée du règlement des litiges lors de la levée des impôts. Gentilhomme proche de la cour, il est probablement né aux alentours des années 1580, et passe une partie des années quatre-vingt dix à Chenonceau, dans l'entourage de Louise de Lorraine, veuve d'Henri III depuis 1589. Un recueil de vers, le Parisis, écrit à l'occasion des fiançailles de Louis XIII avec Anne d'Autriche en 1612, et présenté au roi un an plus tard, le montre bien introduit dans la maison des Valois ; trois ans seulement se sont alors écoulés depuis qu'Henri IV est tombé sous les coups de Ravaillac et Louis XIII, qui n'a que douze ans, n'a pas encore été investi des pouvoirs royaux ; courbant encore le chef sous la Régence de Marie de Médicis, il se soumet aux choix matrimoniaux dictés par sa politique pro-espagnole et subit les intrigues de ses conseillers italiens.

Quelques dix ans plus tard, en 1622 – année qui voit la publication des Cantiques spirituels – les équilibres se sont déplacés. Louis XIII aura vingt-et-un en septembre. Il est marié depuis 1615 et a repris les rênes du royaume à la Régente : assassinat de Concini en 1617, guerres de la mère et du fils de 1619 à 1620 ; à partir de cette date, il entreprend de suspendre les privilèges politiques des protestants, œuvre au long court qui l'entraînera jusqu'en 1628 – mais le fait échouer en 1621 devant les remparts de Montauban.

Les Cantiques spirituels auraient-ils été présentés au roi ? C'est l'hypothèse que soutient, non sans vraisemblance, Marc Desmet. La facture des pièces, la nature savante de la composition, les jeux numérologiques et les choix thématiques témoignent d'une collection érudite et construite comme un recueil anniversaire, plutôt que d'une composition d'usage ou une réunion de Mélanges.

Le recueil, à l'instar du Parisis, obéit à un plan tripartite. À une section initiale de neuf pièces en français, propres par leur style à évoquer une dévotion de salon (souplesse de l'écriture et mesure d'air), fait suite une période de vingt-et-un morceaux – en latin et français – ordonnée autour du bréviaire de l'Avent à la Pentecôte ; l'ensemble se referme sur six motets en latin d'une musique d'apparat, une ultime pièce recueillant en grec deux formules de bénédictions dont le dépouillement de la polyphonie homophone dessine un solide contraste avec les pièces précédentes. Le long du temps liturgique fait ainsi transition entre les deux visages religieux de la cour, de l'intimité de sa vie dévote au faste de ses représentations publiques.

Deux faisceaux d'indices viennent à l'appui de l'interprétation de Marc Desmet. Le premier est relatif à la composition d'ensemble du volume. Outre la nature peu habituelle du format pour ce genre de volume, la rareté de certaines décisions fait signe vers l'érudition de l'intention d'ensemble – textes grecs, appel au monnayage rythmique pour gestion de la scansion différenciée des parties bilingues français latin – ; l'hybridation de la composition, ensuite, répartit les choix d'écriture, archaïsme et modernité, en une vaste combinatoire à l'échelle du recueil ; qui plus est, la texture stylistique, de pièces relativement élaborées, se voit progressivement simplifiée jusqu’a milieu précis de l'ouvrage, pour acquérir une nouvelle complexité à mesure que l'on avance vers la conclusion, l'apex étant atteint sur le dernier motet : sept voix, six textes liturgiques, un cantus firmus, cinq voix entremêlant des mélodies de plain-chant sur cinq modes différents. Mais outre les régularités érudites du plan, la disparité des styles – airs, motets, hymnes, antiennes, litanies, etc., dont l'appellation cantique ne recueillerait génériquement que la diversité – et la façon dont ils se succèdent dans le cours du recueil semblent décidément incompatibles avec une quelconque dimension d'usage.

L'impression en est précisée si l'on considère le second faisceau d'indices, relatif quant à lui aux possibles allusions de l'œuvre à la vie de cour. Ainsi, des neuf pièces d'ouverture, les six premières sont des psaumes dans une paraphrase en français, genre particulièrement apprécié du roi, alors que les trois suivantes sont des cantiques bibliques à sujet féminin et probablement destinées à la reine, tant devaient être transparentes pour l'époque les références aux avatars récents du jeune couple royal. On peut aussi évoquer un possible affolement combinatoire, bien propre à cette période, autour des chiffres 3 et 7, propres à évoquer le proche vingt-et-unième anniversaire des époux royaux – 21 = 3x7 – : 37 pièces, versifications de certaines d'entre elles en 7 et 14 pieds, prégnance du chiffre 3 et de ses multiples dans les différentes sections (6+3 pièces en section initiale, 21 pièce en section intermédiaire, 6+1 pièce en section finale), etc.

L'ensemble ferait donc signe vers une œuvre de circonstance, mise en texte et en musique par un proche de la cour et possiblement présentée au roi à l'occasion de son vingt-et-unième anniversaire. Elle peut ainsi se permettre de nous offrir un condensé de la musique religieuse de son époque, ainsi que des procédés qui sont, à proprement parler, ceux du baroque : recollection dans ses diffractions singulières du mouvement d'ensemble d'une totalité.

Resterait à confirmer certaines des hypothèses de Marc Desmet qui, en l'absence d'archive recevable, ne peuvent prétendre à plus ferme statut. Le rapprochement de Charles de Courbes avec les De Courbes espagnols, imprimeurs, en fait partie. Mais aussi la présentation de l'ouvrage au roi, soit encore : la réelle nature du geste lié à cette publication.

MD