Chroniques

par jo ouaknin

Charles-Simon Catel
Sémiramis

1 livre-disque 2 CD Glossa (2012)
GES 921624-F
Charles-Simon Catel | Sémiramis

C’est en 1802 qu’à l’Opéra de Paris fut créée la Sémiramis de Charles-Simon Catel (1773-1830), succès public entaché à l’avance côté critique par une de ces cabales dont sont friands les milieux musicaux français, de tout temps. Depuis, cette tragédie lyrique ne connut plus les honneurs de la scène, et c’est tout naturellement sous l’impulsion dévouée du Centre de musique romantique française, autrement dit Palazzetto Bru Zane (Venise), qu’une version de concert la ressuscitait l’an dernier.

Après la belle Andromaque de Grétry [lire notre critique CD et notre chronique du 13 juillet 2010], Sémiramis fut donné au Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon [lire notre chronique du 25 juillet 2011], générant un live édité en livre-disque qui renseigne le mélomane avec précision : quant au livret, bien sûr (signé Philippe Desrieux d’après Voltaire), quant au contexte défavorable de la création (Étienne Jardin : Sémiramis au cœur des conflits du Conservatoire), à un retour aux sources inspiratrices des grands ouvrages de la période baroque (Pierre Sérié : Pourquoi la Sémiramis de Voltaire ?), aux pratiques vocales au tournant des XVIIIe et XIX siècles (Benoît Dratwicki : Mlle Maillard et Mme Branchu, Sémiramis à la croisée « des » chants français), sur une appréciation musicologique (Alexandre Dratwicki : Redécouvrir Sémiramis) et enfin sur le compositeur (François-Joseph Fétis : Charles-Simon Catel).

Si l’entreprise est d’importance, en ce qu’elle permet de retisser les liens évidents qui vont de Rameau et Gluck à Cherubini et même Berlioz, encore aurait-elle méritée meilleure distribution vocale pour convaincre tout-à-fait. Le peu d’assise de Mathias Vidal, ténor tremblotant au timbre assez plat, dessert Arzace d’intonations imprécises et d’aigus heurtés. Dans le même registre, Nicolas Maire s’illustre dans un Cédar avantageusement présent, quoiqu’avec un rien d’affectation. La captation live rend compte du « temps de chauffe » nécessaire au soprano Gabrielle Philiponet dans le rôle d’Azéma : d’abord étroite et terne, la voix se révèle plus sûre au deuxième acte. L’Assur de Nicolas Courjal est belliqueux à souhait, dans un frémissement relativement ridicule de grosses ficelles qui fait un sort à chaque mot.

Deux grandes incarnations, pourtant : Andrew Foster-Williams prête à Oroès un timbre corsé, un format généreux et une autorité naturelle. Son Frappez, punissez le coupable fait mouche ! Enfin le mezzo-soprano Maria Riccarda Wesseling, superbe Sémiramis qui réunit une déclamation fascinante, une prosodie soignée, à une puissante profondeur tragique. C’est elle qui nous mène au théâtre. Souverainement dramatique, Sous l’effort d’un bras invisible accuse un hiératisme vaillant, l’air brillantissime Maîtresse de mon diadème est intelligemment mené, la stupéfaction d’Éclaircissez ce trouble insupportable investit l’écoute tandis que la mort, du bout des lèvres, la bouleverse.

À la tête des Chœur et Orchestre du Concert Spirituel, Hervé Niquet rend hommage à la hauteur de ton de l’ouvrage de Catel, mêlant la pompe à l’urgence dans une lecture alerte qui s’accommode sans mal d’une succession de récits parfois austère. Ajoutons encore que le son est magnifique (Joël Soupiron pour la prise, Laure Jung-Lancrey pour le montage).

JO