Chroniques

par samuel moreau

Christian Thielemann et les Wiener Philharmoniker
Richard Strauss | Lieder – Arabella (extrait) – Eine Alpensinfonie

1 DVD Opus Arte (2012)
OA 1069 D
Richard Strauss | Lieder – Arabella (extrait) – Eine Alpensinfonie

Disons-le d’emblée : chacune des prestations du soprano nord-américain Renée Fleming invite à s’esbaudir des admirateurs immarcescibles dont nous ne faisons pas partie. Il y a quelque temps déjà, son approche de Manon avait peu convaincu [lire notre critique du DVD] et certains de nos collègues « anaclasiens » – avec toutes les apparences d’une coalition ; mais non ! – avaient également dit leur déception, à l’occasion d’un récital parisien [lire notre chronique du 19 janvier 2004] ou de l’écoute de cette rareté straussienne qu’est Daphne [lire notre critique du CD].

La cantatrice retrouve aujourd’hui le créateur d’Elektra, et plus particulièrement celui qui, entre six et quatre-vingt quatre ans, accorda une place toute particulière à l’écriture de Lieder, conçus pour piano ou orchestre. Les 7 et 8 août 2011, à la Großes Festspielhaus de Salzbourg, elle interprète quatre d’entre eux : Befreit Op.39 n°4, Winterliebe Op.48 n°5, Traum durch die Dämmerung Op.29 n°1 (orchestration de Roger Heger) et Gesang der Appolopriesterin Op.33 n°2. Tous ont été écrits entre 1895 et 1900, et chantés à un moment ou à un autre par Pauline de Ahna, l’épouse du Munichois.

Reconnaissons-le, le soprano enchante l’oreille sur les premier et troisième titres, grâce à une voix extrêmement dirigée, sobre et proche du texte qu’elle cisèle à l’occasion. En revanche, l’accélération du tempo de l’Opus 48 nous fait perdre la précision dictionelle (serbo-croate ? inuktitut ?) tandis que « la grande scène d’opéra », sur le texte insipide de von Bodman, laisse passer des notes mal assurées et des portamenti douteux. Cependant, reconnaissons que ses attaques de mauvais goût conduisent à des ornementations bondissantes, réalisées avec une incroyable souplesse.

Avec Mein Elemer !, finale de l’Acte I d’Arabella introduit par un violon tendre un brin suranné – un ouvrage que l’artiste défend actuellement à Paris [lire notre chronique du 14 juin 2012] –, s’achève la petite demi-heure consacrée à la voix. Place alors à l’orchestre seul – enfin, on l’aurait souhaité… – pour Eine Alpensinfonie, le plat de résistance de cette soirée festive. Dernier des dix poèmes symphoniques de Strauss, rappelons que cette Symphonie alpestre en vingt-deux épisodes fut lente à accoucher (notamment par l’interruption liée à la commande d’un ballet par Diaghilev), et que sa création eût lieu le 28 octobre 1915, avec le compositeur à la tête de la Dresden Hofkapelle.

La première partie nous y préparait : très concentrés, les Wiener Philharmoniker composent un orchestre équilibré aux reliefs très dessinés, malheureusement confiés à un chef sans corps ni expressivité. Christian Thielemann développe une plasticité fade qui gangrène cette Alpensinfonie. Dès l’abord, il gomme la modernité dissonante de Nacht et son contraste avec Sonnenaufgang, tandis que la communion avec la Nature qu’est Eintritt in den Wald devient une promenade campagnarde, pétri de motifs figuratifs frisant l’anecdote. Auf blumigen Wiesen manque de lyrisme, et Vision de mystère.

Malgré une certaine condescendance et une façon de nuancer qui touche à la manière, quelques îlots magnifiques affleurent, tels Erscheinung (jeu de timbres superbes entre harpe et célesta) ou Nacht (pianissimi très réussis aux cuivres), et la caméra peut même surprendre un soudain intérêt de Thielemann pour ce qu’il fait (Stille vor dem Sturm), loin de la routine « pépère » entretenue jusque-là. C’est trop peu pour nous rendre indulgent avec le cinéma déployé au moment des saluts.

SM