Chroniques

par bertrand bolognesi

Claude Debussy – Maurice Ravel
œuvres pour orchestre

1 CD Deutsche Grammophon (2002)
471 614-2
Debussy – Ravel | œuvres pour orchestre

Pour cette nouvelle parution boulézienne – un programme de musique française, réunissant des œuvres familières au chef –, la firme allemande propose un enregistrement effectué il y a cinq ans aux USA. On y retrouve l'excellent Cleveland Orchestra offrant une sonorité d'une grande clarté aux pièces choisies. Shéhérazade de Maurice Ravel bénéficie ici de l'interprétation soignée d’AnneSofie von Otter. Avec une diction satisfaisante et une couleur charmante, le mezzo-soprano paraîtra cependant à bien des égards fort maniérée, confondant peut-être le raffinement naturel de cette musique à une certaine idée toute faite d'une sorte de préciosité à la française qui ne saurait rejoindre l'élégance pure de cette page.Pierre Boulez est ici moins droit que par le passé, et sait magistralement évoquer l'Orient de Klingsor.

Dans Le Tombeau de Couperin, on retrouve un Ravel plus formel, ce que souligne magnifiquement le chef par une lecture qui avance comme sans se poser de questions, avec une superbe fluidité, développant une sorte d'ironie pour la Forlane tandis que le Menuet est pris moins rapidement qu'autrefois (cf. divers enregistrements Sony), offrant à la Musette centrale une énigmatique immobilité. Inattendue, la Pavane pour une infante défunte est ici quasiment légère, pour ne pas dire oisive. Rien de cérémonieux, rien de digne ni de contrit : plutôt une doucereuse lassitude un rien amusée où les cuivres assoupis échangent des propos vagues avec les cordes alanguies, avec beaucoup d'esprit. Plus énergique, le Menuet antique jouit d'un art des nuances dont le chef n'avait peut-être encore jamais usé au disque pour cet œuvre, retrouvant soudain ses lettres baroques, et faisant de ce passage rien moins que la clé de voûte du disque, avec sontrio d'une précision inégalée.

C'est un Debussy intimiste que l'on pourra écouter sur ce disque : Alison Hagley semble ici la voix rêvée pour interpréter Le Jet d'eau et les Trois ballades de François Villon que Pierre Boulez conduit avec plus de retenue – comme pour mieux laisser s'exprimer la fraîcheur de la chanteuse – que dans le DVD paru chez TDK (Triennale de Cologne 2000, par Christine Schäfer et la Philharmonie de Chicago), ou lors d'autres auditions récentes (Prom's de Londres en août 1995, par exemple). Sans aucune affectation superflu ni rien de précautionneusement emprunté, le soprano nous parle directement, et même dans le français jargonneux de Villon, dans une délicieuse simplicité. Les deux Danses pour harpe et orchestre à cordes sont livrées avec une délicatesse inouïe qui en souligne à peine la douce poésie, autre très grand moment du disque.

BB