Chroniques

par bertrand bolognesi

Claude Debussy
pièces pour piano (vol.4)

1 CD Pierre Verany (2004)
PV 704091
Claude Debussy | pièces pour piano

Il y a quelques semaines est paru le quatrième de l'intégrale de la musique pour piano de Claude Debussy dont François Chaplin a entrepris la gravure chez Pierre Verany/Arion au printemps 2000 [lire notre critique des volumes précédents]. Cette somme trouvera sa forme définitive à l'automne 2005, avec la publication d'un cinquième volume, consacré à quelques pièces brèves – comme les Mazurka, Valse romantique, etc. – et principalement aux Études.

Enregistrées il y a un an à Paris, les œuvres de ce Volume 4 bénéficient d'une interprétation d'une grande sensibilité, osant par endroit une clarté moins évidente que celle des premiers pas, avec une poésie toujours judicieusement inspirée. Le livret de Guy Sacre présente Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon comme une partition oubliée, redécouverte récemment lors d'une vente publique ; elle daterait de 1917, et pourrait bien être la dernière page pianistique de Debussy. François Chaplin nous en révèle la délicatesse, portant ce petit bijou dans une certaine émotion.

Ce disque présente sept autres petites pièces, comme cette Élégie de 1915, chantonnée dans une sorte d'oisiveté songeuse. Il est ouvert par la Rêverie, dans une sonorité pleine qui en revendique l'héritage romantique, tout en perlant quelques phrases comme le feront plus tard les Préludes. Dans le cahier d'esquisses, le pianiste souligne toute la richesse d'une partition qui s'avère fascinante poseuse d'énigmes, par de curieux élans de sensualité lasse. Autant le dire d'emblé : François Chaplin n'aborde plus aujourd'hui la musique de Debussy comme il y a quatre ans ; il semble avoir beaucoup appris par l'édification de cette intégrale, notamment à faire se côtoyer sans incohérence gravité et légèreté. C'est tout à fait remarquable dans La plus que lente, une valse hésitante de 1910, où il paraîtra désigner l'œuvre, parent de Satie pour l'humour, comme évocatrice des petites gourmandises surannées d'une bourgeoisie casanière qui rêverait de salles de bal grand style d'un paquebot mondain ; également dans la gentille frivolité avec laquelle il caresse la très courte Page d'album. Maîtrisant la langue debussyste jusqu'en ses moindres figures de style, tout en ne dérogeant pas à cette étrange loi qui fait se révéler les pianistes à l'abord de cet océan de mystères, le pianiste offre ici un Hommage à Haydn presque lisztien qui s'achève dans un rappel presque désertique du thème, une fin qui annonce la sombre Berceuse héroïque de 1914, jouée sans lumière, dans une humeur durablement noire qu'entretient la dignité d'une pâte sonore généreusement égale, jusqu'aux cloches assassines qui glacent l'écoute.

Deux recueils pour ce disque : le deuxième livre des Images et les six Épigraphes antiques. Écrites en 1914, ces drôles d'invocations bénéficient d'une respiration large et évidente, à commencer par ce Pan rêveur qui tournoie aimablement dans la brise. Chaplin ne livre rien du tombeau sans nom, y amenant un crescendo diablement progressif que les accords suivants précipiteront dans le doute ; puis il raconte une histoire mi-aventureuse, mi-épique, avec l'univers chatoyant de Pour que la nuit soit propice, sait charmer autant que la danseuse aux crotales, et semble rêver à L'Égyptienne dont le second thème est amené avec beaucoup de suspens. Enfin, il remercie la pluie avec un vrai sens du sacré, par un jeu tranquillement énergie.

En 1907, Debussy complète de trois nouveaux instantanés d'une richesse fabuleuse ses Images achevées deux ans plus tôt. Avec eux, Chaplin révèle la virtuosité qu'on lui connaît, sans qu'elle lui suffise. Cloches à travers les feuilles jouit d'une différentiation idéale des divers plans sonores, donnant relief et profondeur à une lecture sculpturale qui prend le temps d'installer un paysage, de créer des ambiances, sans rien précipiter jamais, avec une exquise délicatesse. Dans les Poissons d'or, le pianiste éclaire son jeu d'un sourire grave, ne soulignant jamais excessivement les motifs jazzy de cette page où beaucoup de musiciens s'égarent, amenant une exultation magnifiquement colorée, mais jamais trop brillante, après des errements réellement tendus. Sans conteste, la page centrale du recueil est le moment le plus beau moment de ce disque : Chaplin parvient à faire sonner Et la lune descend sur le temple qui fut comme personne, avec une sorte de fausse simplicité, marquant le grand raffinement d'une discrète expressivité, toute de pudeurs, qui vient en affirmer la méditation spirituelle.

BB