Chroniques

par bertrand bolognesi

Claude Debussy
Pelléas et Mélisande – œuvres variées

1 coffret 3 CD Membran International (2003)
221715-348
Claude Debussy | Pelléas et Mélisande – etc.

La précision de la version de Boulez, la générosité de celle d’Abbado, le souffle d'Haitink, le climat angoissé de la lecture dirigée par Gielen à la Deutsche Staatsoper de Berlin cet automne [lire notre chronique du 31 octobre 2003], font les qualités auxquelles s'ajoute la poésie d'un grand chef qui a beaucoup compté dans la vie musicale française : ces termes décriront au mieux l'enregistrement mené par Roger Désormière en 1941, restitué aujourd'hui par Membran/Documents.

Jouissant d'une grande intelligibilité, d'un sens musical aiguisé et d'une vraie compréhension du texte, cette prise est sans conteste la plus satisfaisante actuellement sur le marché, même si l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire n'est pas toujours très exact. Dès les premières mesures, l'auditeur est plongé dans une inquiétude opaque, et croit voir les arbres et la brume hostile où Golaud se perd. Ici, le son suffit à évoquer tout un univers, stimule l'imagination, si bien que l'opéra se déroule mentalement comme en un rêve. Désormière conduit l'action en grand magicien qu'il fut, habitué à servir la scène (collaborations régulières avec les Ballets Russes, l'Opéra Comique, les Ballets Suédois et l'Opéra de Paris). L'enchantement est favorisé par une distribution française qui sait encore prononcer sa langue natale à l'opéra.

Les voix sont très présentes, et l'on saisit le moindre mot du livret. C'est inestimable ! On suppose l'importance que put revêtir cette aventure pour les artistes dans la France partagée de ces années de guerre... Irène Joachim est une Mélisande délicate et frêle, comme il se doit, plutôt vieux style, alors que les prestations des autres chanteurs ne paraîtront pas datées. Le bel alto de Germaine Cernay propose une Geneviève d'une grande douceur, soumise à l'ordre des choses avec une tristesse soumise. Paul Cabanel est un Arkel d'une grande classe, usant d'une profondeur de timbre qui donne tout son sens à « Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes... », par exemple. Jacques Jansen donne un Pelléas lyrique, d'une suavité incomparable, tandis que le Golaud de Henri-Bertrand Etcheverry est enveloppant au point d'en devenir oppressant. On entend bien que les personnages sont construits de l'intérieur, et que chaque destin se dessine dans le chant. Les timbres se différencient et s'équilibrent avec bonheur : la scène des souterrains Golaud/Pelléas donne des frissons. Bref, c'est une réussite inestimable.

En complément de programme figurent quelques bonus debussystes : les Deux Danses par Lily Laskine et Piero Coppola, le Prélude à l'après-midi d'un faune par Toscanini en 1945 (avec des choix parfois curieux), et La Mer dans la lecture sirupeuse d’Ernest Ansermet (1947).

BB