Chroniques

par david verdier

Claude Debussy
musique de chambre – transcriptions

1 CD Indésens Records (2012)
INDE 040
Claude Debussy | musique de chambre – transcriptions

La musique de chambre avec vents de Claude Debussy se résumait à une célébrissime œuvre pour flûte solo (Syrinx, pour ne pas la nommer), deux petites pièces rhapsodiques pour piano et clarinette et la mystérieuse Sonate pour flûte, alto et harpe. Trois opus ne suffisant pas à faire un enregistrement autour de ce thème, le label Indesens Records n'a pas hésité à compléter un minutage très généreux par plusieurs transcriptions… ainsi que deux pages sans le moindre instrument à vent : la Sonate pour violoncelle et piano (devenue Sonate pour violoncelle et harpe) et les Deux Danses pour harpe et quintette à cordes. La conséquence directe est celle de l'hétéroclisme : pas moins de quatre pianistes différents, plusieurs lieux d'enregistrement, les musiciens venant de divers horizons. La multiplicité des styles et des inspirations donne à la musique de Debussy des caractéristiques parfois inédites.

Ce disque pose d'emblée certaines conditions et propose de relever un pari risqué, avec, en définitive, un résultat mitigé. Certains instrumentistes sont artistes indépendants, habitués aux rencontres improvisées à l'occasion d'un festival ; d'autres sont membres d'orchestres permanents (Philippe Berrod et Vincent Lucas pour l'Orchestre de Paris, ainsi que Ludwig Quandt et Marie-Pierre Langlamet pour l'Orchestre Philharmonique de Berlin). Une fois passée l'impression du côté fourre-tout, on se surprendra à ne pas écouter ce disque sur la durée mais selon un choix de pièces isolées, comme pour renouer avec cette étrange logique d'un l'objet disparate dont on ignore le bout par lequel il faut le prendre.

Même si le livret supplie du contraire, nous nous refusons à admettre que Debussy aurait apprécié d'entendre cette transcription de Fêtes pour trompette et piano. C'est un « arrangement » dans le sens négatif du terme, dont le résultat peine à convaincre. L'instrument d'Éric Aubier promène en dilettante une brillance hors-propos qui achève de ruiner toute la subtilité de la pièce. Le piano de Pascal Gallet ne remplace pas l'implacable caisse claire et l'accélération dynamique du grand orchestre est morcelée par des thèmes qui sautent d'un instrument à l'autre, sans justification. Même écueil pour Syrinx dans sa version pour trompette solo. On salue la performance et la technique, mais ni le phrasé (si peu vaporeux) ni surtout la couleur ne parlent l'idiome debussyste.

Vincent Lucas adopte dans Prélude après midi d'un faune (sic) un legato étale avec une tendance à faire osciller sensiblement le vibrato sur les notes tenues. Le clavier un brin lénifiant d'Emmanuel Strosser est capté en retrait de la flûte, ce qui gêne l'écoute sur la durée. Enfin rendu à son instrument d'origine, Syrinx trouve en ce flûtiste un interprète concentré qui, à défaut de sensualité, libère un ton attendri. La couleur opaline de la clarinette de Philippe Berrod s'accorde au cristal discret du clavier de Claire Désert dans la si fine Rhapsodie (passée à la postérité dans sa version pour clarinette et orchestre). La spontanéité du dialogue qui s'instaure dans ce foisonnement harmonique fait préférer cette partition à sa moins discrète cousine pour saxophone.

Ludwig Quandt est violoncelle solo du Philharmonique de Berlin depuis l'ère Abbado. Son jeu est construit sur une technique impeccable et une justesse d'intonation à faire pâlir d'envie nombre de musiciens. Pourtant, le chant qu'il propose dans la version avec harpe de la Sonate pour violoncelle n'est pas très habité et finit par lasser. On est ici aux antipodes d'un Navarra ou d'un Gendron dont il fut pourtant l'élève dans le passé. L'absence de badinage dans le phrasé et les portandos trop prudents font regretter la référence au génial Watteau et les « molles ombres bleues » du poème de Verlaine.

La Sonate pour flûte, alto et harpe doit beaucoup aux interventions de Lise Berthaud qui semble tirer ses partenaires de la léthargie dans laquelle ils ont plongé la partition. On se concentrera donc sur la prestation des solistes du Philharmonique de Berlin qui offrent une belle version chambriste de Danses sacrée et profane. Œuvre contemporaine de Pelléas et Mélisande, elle nous fait ressentir un peu du climat du royaume d'Allemonde, avec ses émolliences et ses moiteurs.

Une remarque étonnée, pour finir. On sait que la pilosité ne fait pas le moine – et encore moins le musicien – mais… que diable vient faire la photo d'Emmanuel Chabrier au dos du disque ? Mystère de la (photo)composition.

DV