Chroniques

par laurent bergnach

Claude-Jean Nébrac
« Pomone » ou la naissance de l’opéra français – Mémoires imaginaires

Book on Demand (2011) 200 pages
ISBN 9-782810-622429
« Pomone » ou la naissance de l’opéra français (roman)

« Il paraît que l’on critique les paroles de Pomone. Je suis habitué aux caquets des envieux et des ignorants, et je me doutais bien que la nouveauté de la poésie dramatique et lyrique ne serait pas immédiatement appréciée par ceux qui sont habitués aux paroles telles que la musique française en a produit jusqu’ici. Ils finiront par comprendre que cette poésie originale et sans modèle dans le passé est la seule qui puisse permettre de faire un opéra français, alors que les maîtres de l’art soutenaient que cela était impossible par le défaut de la langue. »

Outre de donner une idée du style clair du romancier Claude-Jean Nébrac pour ses Mémoires imaginaires de Pierre Perrin (1620-1675), ce court passage situe ce qu’est l’existence du personnage principal en juin 1670 : un pionnier obstiné qui révolutionne un art contre l’avis général, et en particulier celui de Lully qui défend sa langue natale. Jeune Lyonnais de vingt-cinq ans venu faire éditer ses vers à Paris, Perrin suit avec intérêt certaines créations artistiques, telle ce Triomphe de l’Amour sur des Bergers et Bergères (1654), pastorale écrite par Charles de Beys, puis mise en musique par Michel de La Guerre. Lui-même voit bientôt ses poèmes servir à des musiciens variés – Boësset, Cambefort, Gouffet, Lambert, Moulinié, etc. – jusqu’à sa rencontre avec Robert Cambert. Convaincus par un premier essai – une élégie à trois voix intitulée La Muette ingrate (1658) –, les deux hommes se concentrent sur la composition d’une pastorale visant à faire oublier celle de leurs rivaux : Ariane et Bacchus (1659), soit une étape vers la création de Pomone, le 3 mars 1671, plus de dix ans plus tard.

Cette décennie n’épargne pas le pauvre Perrin dont les tourments financiers et juridiques se poursuivent. Jeune homme, il connut le non paiement de gages par le duc d’Orléans pour une charge d’introducteur des ambassadeurs et un mariage contesté avec une veuve sexagénaire qui le mène plus d’une fois en prison ; le voilà qui signe avec des escrocs qui se gardent bien de partager les recettes. Bien plutôt, il encaisse les coups bas du Florentin qui se détourne du ballet avec des ambitions nouvelles, le Roi ne souhaitant plus danser en public. Le héros malmené n’est pas seul à rendre compte d’une époque qui voit naître Ercole amante (1662), Psyché (1671), Les Peines et les Plaisirs de l'amour (1672) et Cadmus et Hermione (1673), puisque ces Mémoires imaginaires invitent d’autres témoins parmi lesquels Cambert, Molière et Lully, titulaire final de l’Académie royale de musique, ce qui multiplie les points de vue et précise les différents enjeux.

L’avant-propos, qui rend hommage à quelques musicologues ayant redécouvert l’opéra classique français (Lacôme, Pougin, Nuitter, Rolland, Prunières, etc.), ainsi que des annexes – qui proposent notamment une lettre de Perrin expliquant à l’archevêque de Turin son rejet de l’opéra italien… et des « chastrez » (1659) – assurent du sérieux de Claude-Jean Nébrac qui a choisit la voie d’une fiction toute relative pour mieux nous captiver.

LB