Chroniques

par laurent bergnach

David Reiland et l’Orchestre national de Metz Grand Est
Bonis – Boulanger – Holmès – Jolas

1 CD La Dolce Volta (2023)
LVD 103
David Reiland joue Bonis, Boulanger, Holmès et Jolas

Remaniement géopolitique oblige (quoique…), l’Orchestre Philharmonique de Lorraine, fondé en 1976, devint Orchestre national de Metz et, plus récemment encore, Orchestre national de Metz Grand Est – ne serait-il pas plus simple de donner aux orchestres régionaux un nom littéraire, à l’instar des ensembles baroques, afin d’éviter ce collier de perles de noms géographiques, toujours menacé d’une refonte tragi-comique ? Son directeur musical et artistique en est actuellement David Reiland, diplômé à Bruxelles et Salzbourg, qu’un second mandat maintient à ce poste jusqu’à l’an prochain. Le disque qu’ils enregistrent aujourd’hui réunit quatre créatrices nées entre la seconde moitié du XIXe siècle et le premier quart du suivant, dont le nom est souvent plus connu que l’art lui-même.

Malgré ses origines d’Outre-Manche, c’est à Paris que naît et s’éteint Augusta Holmès (1847-1903), pourvue de la nationalité française à mi-chemin de son existence. Filleule d’Alfred de Vigny, élève de César Franck, compagne de Catulle Mendès et fervente admiratrice de Richard Wagner, il semble que les hommes de sa vie n’entrèrent que dans la double catégorie des musiciens et des écrivains. Ce n’est donc pas un hasard si nombre de ses œuvres pour orchestre sont des poèmes symphoniques qui puisent dans la littérature, à l’instar des Argonautes (1881) et d’Andromède (1900) dont elle écrivit elle-même le texte, en wagnérienne accomplie. Et c’est le chantre de Bayreuth, tout autant que la princesse délivrée par Persée qu’elle y célèbre : mêlés parfois à des sonneries mahlériennes, des ricochets dukasiens résonnent des échos de la Colline verte (Rienzi, Der fliegende Holländer, etc.) pour soutenir héroïsme et suspense.

Née moins de dix ans après la précédente, Mel(anie-Hélène) Bonis (1858-1937) [lire nos chroniques de Suite Op.127 n°1, Soir, Quatuor Op.69 n°1, Le songe de Cléopâtre Op.180 et Les Gitanos Op.15] poursuit, elle aussi, des études avec Franck, durant sa jeunesse, mais également avec Charles Koechlin, une fois la cinquantaine venue, afin de maîtriser l’orchestration. Jusqu’alors focalisée sur le clavier, en épigone de Fauré et de Debussy, elle peut désormais proposer des œuvres moins confidentielles. C’est le cas avec Femmes de légendes, certes un bouquet de sept pages autonomes pour piano à deux ou quatre mains, mais surtout un cycle posthume orchestré qu’on date de 1909, soit la dernière année d’étude avec l’auteur des Heures persanes [lire notre critique du CD]. L’exotisme est invité via les influences de Ravel et de Wagner (Le songe de Cléopâtre), une douce opulence alla Schreker (Ophélie) et un climat arabo-andalou mêlé des rêveries orientales d’un Rimski-Korsakov (Salomé).

Première femme à avoir obtenu le prix de Rome en 1909, Lili Boulanger (1893-1918) [lire nos chroniques de Deux ancolies et D'un matin de printemps] est une étoile filante dont la maladie et la guerre marquent la courte vie – pour l’anecdote, relevons qu’en 1913, elle obtient le prix Lepaulle en présentant une pièce intitulée Pour les funérailles d'un soldat. Quelques semaines avant de succomber à la tuberculose intestinale qui fut son épée de Damoclès, Lili orchestre D’un matin de printemps, œuvre initialement conçue pour violon et piano, puis pour un trio (1917). Dans cette courte page d’une sensualité debussyste, on apprécie le soin apporté aux timbres par David Reiland [lire nos chroniques de Cinq-Mars, Symphonie en sol mineur n°1 de Méhul, Les contes d’Hoffmann, Messa da Requiem, La sirène, Faust, Le Giaour, Apocalypsis et Les pêcheurs de perles], à la tête d’une formation en bonne santé où les qualités des cuivres et des bois comme des cordes s’équilibrent parfaitement. Le chef cultive ensuite âpreté, délicatesse et mystère dans D’un soir triste qui, lui aussi, vit le jour en deux versions de chambre. Inventive, cette page testamentaire s’affranchit des influences.

Doyenne actuelle des compositeurs français, Betsy Jolas (née à Paris, en 1926) clôt le programme [lire nos chroniques de L’Ascension du Mont Ventoux, Plupart du temps, Iliade l’amour, Épisode huitième et Musique d’autres jours]. Élève de Darius Milhaud et d’Olivier Messiaen, elle se distingua par son indépendance, à une époque où le sérialisme imposait ses lois, voire ses chaînes. En 2016, elle dédie A little Summer Suite aux Berliner Philharmoniker et à Simon Rattle, ses commanditaires (Berlin, 17 juin), une œuvre en sept mouvements inspirée par la fameuse promenade esthétique signée Moussorgski. La référence s’explique par l’urgence à rendre son travail : « j’avais déjà joué avec la notion d’une musique "errante", vagabonde, autrement dit une musique qui semble sans but et qui pourrait donc atterrir n’importe où, n’importe quand » (notice du CD). Quatre mouvements de déambulation plutôt méditative en encadrent trois plus rythmés et caractérisés, aux titres évocateurs (Knocks and clocks, Shakes and quakes, Chants and cheers). Malheureusement, l’intrigant peine ici à s’extraire de l’anecdotique.

LB