Chroniques

par bertrand bolognesi

Dmitri Chostakovitch – Mieczysław Weinberg
trios avec piano

1 CD La Dolce Volta (2021)
LDV 81
Chostakovitch et Weinberg par le Trio Metral, chez La Dolce Volta (2021)

Un nom pour ce Trio, fondé il y a quelques années : Metral – celui de ces musiciens, membres d’une même famille, tous trois formés dans les classes instrumentales de CNSMD de Paris. Après un premier enregistrement consacré aux opus 66 et 49 de Mendelssohn, le Trio Metral – Joseph au violon, Justine au violoncelle et Victor au piano [lire notre chronique du 25 juillet 2019] – s’attelle à un programme russe, pour ne point dire soviétique, les œuvres choisies ayant été composées entre 1923 et 1945.

Dès l’Andante d’ouverture du Trio en ut mineur Op.8 de Dmitri Chostakovitch, on est frappé par la délicate lumière qui en traverse l’interprétation soigneusement concentrée dans un postromantisme encore d’actualité sous la plume du jeune musicien – l’œuvre serait créée avant même son vingtième anniversaire, c’est dire. La clarté de la partie pianistique soutient avec avantage le lyrisme quasi-brahmsien des autres rôles. Le deuxième mouvement, introduit par un Andante méditatif, arbore cette manière qu’on rencontrerait bien souvent dans la verve chostakovienne plus tardive, faite d’un gel particulier, à la saisissante retenue. Dans l’équilibre précieux par lequel il est ici servi plane un climat religieux à sa tristesse invasive. Le raffinement du développement laisse pantois. Une élégie aérienne habite le troisième, gagnée par une demi-teinte exquise. Et le quatrième chapitre d’osciller entre souvenirs dix-neuvièmistes assumés et plongée rageuse dans une modernité en rupture, suspendue par le retour de l’andante liminaire. Un sixième épisode l’emporte enfin dans un élan farouche.

Deux décennies ont passé lorsqu’est donné pour la première fois le Trio en mi mineur Op.67 n°2, quelques mois après le long siège de Léningrad. Un sifflement fluet caractérise ses premiers pas, répondant parfaitement à cette idée de gelure évoquée plus haut. Loin d’en surenchérir le drame, les Metral invitent au recueillement, dans une admirable économie de moyens. L’agilité du surgissement d’une danse dérisoire suffit à convoquer le tragique requis : les interprètes ne s’y trompent pas en faisant pleinement confiance au texte, sans l’appuyer outre mesure. L’Allegro con brio s’avance dès lors en cordial sarcastique tel qu’il s’en trouve de nombreux dans cette faconde propre au Pétersbourgeois. Passé cette virtuosité démonstrative, le Largo entonne un thrène digne qu’il ne laisse jamais s’élever. La mélodie obsédante de l’Allegretto final fait la matière du plus développé des quatre mouvements, ritournelle nauséeuse livrée dans une inflexion infiniment sensible.

De treize ans le cadet du Russe, Mieczysław Weinberg est né en Pologne, patrie des ancêtres paternels de Chostakovitch. Sa vie sera de fuite et de lutte, de cachettes et d’abandons, deuil et reconstruction. Dans son pays natal envahi par les troupes allemandes comme dans l’URSS de Staline, il est menacé en tant que juif, et ce n’est guère que durant les trente dernières années de sa vie que sa musique fut enfin jouée. On doit sa redécouverte au grand travail effectué par le Quatuor Danel. Poursuivant une investigation passionnée [lire nos chroniques de La passagère au Bregenzer Festspiele et à la Semperoper, du Quatuor en ré mineur Op.14 n°3, de L’idiot, de la Sonate pour clarinette et piano Op.28, du Concerto en ut mineur Op.43 et de la Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur Op.63], c’est avec plus d’attention encore que l’on écoute son Trio en la mineur Op.24 de 1945.

Un cousinage assez évident se fait entendre dès le Preludium par lequel nous nous faufilons dans l’œuvre, engagé dans une véhémence enthousiaste. Mais très vite s’affirme un style personnel, dans une aria dépouillée à l’abord relativement austère. La singularité de Weinberg s’affirme plus encore dans la Toccata, contrastée, écorchée même. Les parties s’y répondent et s’y complètent avec une hargne drument inventive. Quasi improvisato, le Poème confirme l’impact pianistique du Trio. Au deuxième quart, les cordes font leur entrée, discrète et chantante, que contrepointera le piano, clapotant près d’un rivage bouleversé de savantes digressions néoclassiques, tour à tour robustes, chorales ou litaniques, pour finir. C’est encore le piano qui tisse le vaste Finale qui renoue avec l’enthousiasme du prélude. La sonorité s’en fait alors volontiers rauque, au long d’une fugue inspirée ouvrant sur une valse moribonde. La musicalité et la précision du Trio Metral font merveille.

BB