Chroniques

par laurent bergnach

Dmitri Chostakovitch
Леди Макбет Мценского уезда | Lady Macbeth de Mzensk

2 DVD Opus Arte (2006)
OA 0965 D
Martin Kušej s'empare d'une nouvelle histoire d'amour et de meurtre

Après Le Nez (1930), Dmitri Chostakovitch réalise que la nouvelle de Nikolaï Leskov, Lady Macbeth du district de Mzensk, ferait un sujet idéal pour un second opéra. Vivant dans un lieu reculé, cette héroïne tragique, détruite par la passion, inspire le compositeur qui en fait tout à la fois le seul être humain d'un ouvrage où tous ne sont que des caricatures d'eux-mêmes et la pierre originelle d'un cycle d'opéras imaginé autour de différents destins de femmes russes. La double première de l'œuvre – le 22 janvier 1934 au Théâtre Maly de Léningrad, et le 24 au Théâtre musical Nemirovitch-Dantchenko de Moscou – montre l'intérêt qu'on porte à l'égard d'un élève de Glazounov, âgé de vingt-six ans à peine. L'accueil de la presse et du public est positif – la revue L'Art soviétique en parle comme du « premier grand opéra composé depuis la Révolution d'octobre » –, et près d'une centaine de représentations ont lieu, rien que dans chacune des deux villes. Mais il suffit que Staline assiste à celle du 26 janvier 1936, que la Pravda écrive « Le chaos au lieu de la musique », pour que Chostakovitch devienne un bouc émissaire dans la lutte contre le formalisme et le modernisme.

Après une Elektra largement ratée [lire notre critique du DVD], Martin Kušej s'empare d'une nouvelle histoire d'amour et de meurtre, dans laquelle – dit-il – « nous faisons l'expérience d'un érotisme dépeint par le biais d'un langage grossier et d'images brutales, de complots menaçants, de l'influence animale des émotions et du cercle vicieux de l'isolement ». Confronté à un texte truffé de sous-entendus érotiques, à une partition des plus sensuelles, le metteur en scène a pourtant caricaturé le désir et les relations sociales au point de massacrer cette récente production amstellodamoise [pour un avis contraire, lire notre chronique du 25 juin 2006]. Certes, très justement, on voit Aksinia tourmentée sans équivoque par les mâles de cette maison aux murs vitrés, mais très vite un univers glauque s'installe où jaillit le sang des amants et la pisse d'un ivrogne. À force d'outrances peu justifiées, on arrive à des inepties comme le mari qui retrouve sa vigueur à deux doigts de la mort, et dont le corps est traîné au poste de police. Et que dire de la pendaison de Katerina, entourée jusqu'au bout par une foule sadique et tripoteuse ? À tout enlaidir, on menace presque notre empathie pour l'héroïne.

À la tête du Koninklijk Concertgebouworkest, Mariss Jansons se révèle heureusement plus délicat. Tonique, léger, élégant, lyrique, les émotions qu'il tire de musiciens précis, grâce à une direction claire et lisible (images des interludes), tranchent avec une conception monocorde. Jansons fait d'ailleurs preuve de choix dramaturgique en livrant un paroxysme orchestral à la scène de flagellation plutôt qu'à celle de copulation – dont le crescendo s'avère précautionneux. Les chanteurs sont également dignes d'éloges : Eva-Maria Westbroeck, avec un grave charnu, qui dialogue tout en pianissimi avec le violoncelle (scène 3) ; Vladimir Vaneev, terrifiant de crédibilité avec sa stature de patron, mais touchant au moment de sa confession (scène 4) ; Christopher Ventris qui impose un Sergueï attachant, en pleine forme vocale ; Ludovit Ludha, etc. Encore une fois, dommage qu'on ait confié toute cette belle équipe aux mains d'un impuissant.

LB