Chroniques

par laurent bergnach

Dmitri Chostakovitch
quatuors à cordes

1 CD Signum Classics (2015)
SIGCD 418
Le Quatuor Carducci joue Chostakovitch (les opus 83, 110 et 122)

Un couple irlandais et un autre anglais forment le Quatuor Carducci dont le nom rappelle qu’il a joué naguère dans la ville toscane de Castagnetto Carducci : Matthew Denton, Michelle Fleming (violon), Eoin Schmidt-Martin (alto) et Emma Denton (violoncelle). Récompensés par de nombreux prix à travers le monde (New York, Kuhmo, Londres, Osaka), ses membres ont étudié notamment avec ceux des quatuors Amadeus, Alban Berg, Chilingirian, Takács et Vanbrugh. Un master class avec György Kurtág, la création d’opus signés Huang Ruo et Huw Watkins (tous deux nés en 1976), ainsi que l’enregistrement de pages de Glass et de Piazzolla témoignent d’un ancrage dans la musique de leur temps.

En 1968, parlant quatuors à cordes, Dmitri Chostakovitch (1906-1975) confie au violoniste Dimitri Tziganov « je vais en composer un dans chacune des vingt-quatre tonalités. Ils doivent former un cycle complet ». Finalement, le musicien ne put en concevoir autant que ses Préludes [lire notre critique des CD Scherbakov et Mangova] : quinze seulement furent conçus, entre 1938 et 1974, tous créés par le Quatuor Beethoven, excepté le premier et le dernier respectivement confiés aux Glazounov et Taneïev. En 2015, les Carducci jouent cette intégrale en tournée, après voir gravé trois opus appartenant à différentes périodes.

En 1949, outre des œuvres de circonstance tels Le chant des forêts Op.81, oratorio couronné par le Prix Staline (la plantation d’arbres comme symbole d’un pays reconstruit), et La chute de Berlin Op.82, musique d’un film de Mikhaïl Tchiaoureli (Падение Берлина), Chostakovitch écrit le Quatuor en ré majeur Op.83 n°4. Sa composition démarre en avril, au retour d’une mission étasunienne durant laquelle il dut condamner publiquement toute expérimentation en musique, mais sa création attendrait la mort du Père des peuples, en 1953. Dans ces pages nostalgiques mêlant piété ancestrale et entrain folklorique, les interprètes captivent par un travail fin, léger et fort lumineux.

Dans l’URSS moins oppressante de Khrouchtchev, Chostakovitch perd des proches (sa femme en 1954, sa mère en 1955) ainsi que son inspiration. Après le Sixième (1956) reconnu faible et le Septième (1960) marqué par un divorce, le Quatuor en ut mineur Op.110 n°8 (1960) est un chef-d’œuvre conçu en trois jours d’été, dans Dresde dévastée où se soignait le compositeur. « Une petite anthologie ! » disait-il de cet hommage à sa propre mémoire, à base d’autocitations. Les Carducci rendent avec talent la digne lassitude qui étaie les extrémités d’une structure en arche, comme les sections mordantes (les coups tragiques du troisième Largo).

En 1966, avant sa dernière prestation scénique comme pianiste à la santé fragile, Chostakovitch élabore le Quatuor en fa mineur Op.122 n°11. Ses sept mouvements enchaînés brassent nombre de techniques d’écriture (dodécaphonisme, etc.) pour peindre diverses humeurs de Vassili Chirinsky, second violon du Quatuor Beethoven, mort en 1965 – récemment, Hilda Paredes fit de même dans In memoriam Thomas Kakuska (2006) [lire notre critique du CD]. Autant dire qu’une vaste palette précède le recueillement de l’Élégie : tranquillité engourdie (Introduction), goguenardise obstinée (Scherzo), violence éphémère (Recitative), frénésie bourdonnante (Étude), jusqu’au Finale somme toute interrogatif.

LB