Chroniques

par laurent bergnach

Dmitri Chostakovitch
Болт | Le boulon

1 DVD Bel Air Classiques (2007)
BAC 020
Болт | Le boulon

Une fois n'est pas coutume, commençons par visionner les deux reportages qui accompagnent ce premier enregistrement du Boulon (Болт) ; ils ont le double avantage de ne pas dévoiler d'images du programme principal, tout en nous plongeant dans le contexte historique de la création. En douze minutes, Avant-garde et kitsch d'Edgardo Cozarinsky évoque le travail fructueux de Chostakovitch pour le cinéma, à l'aide d'images de La Nouvelle Babylone (1929), Seule (1930) ou encore Montagnes d'or (1931). Malheureusement, dès qu'il s'agit de collaborer pour la scène, la censure est au rendez-vous : en plein règne du réalisme socialiste, quand la pompe des défilés vient glorifier l'effort commun, peut-on choisir comme personnage principal un ouvrier ivrogne et insolent, autrement dit un saboteur ? Le deuxième ballet de Chostakovitch est interdit de représentation après sa création, le 8 avril 1931.

Dans les interviews qui suivent, on croise Alexei Ratmanski défendant sa vision d'une chorégraphie contemporaine pour cette production remarquable du Théâtre du Bolchoï (septembre 2006), Semion Pastukh concevant un « décor anti-ballet » dans l'esprit constructiviste, inspiré de la propagande stalinienne (et de Metropolis ?), mais aussi la veuve et le fils du librettiste Viktor Smirnov déroulant les étapes de leur mise à l'écart progressive.

La musique du spectacle mêlant sérieux et populaire, Fédor Lopoukhov – le chorégraphe original – chercha à situer le mouvement entre danse classique (et semi-classique) et danse de genre (et de semi-genre). Les idéologues prolétariens, considérant cette approche comme superficielle, soutenaient qu'une véritable réforme du ballet devait relever la pantomime de sa position mineure dans la hiérarchie théâtrale et en augmenter la charge émotionnelle. Les hybridations de Lopoukhov avec le sport, l'acrobatie ou le cirque étaient reçues comme des pratiques douteuses, susceptibles de rebuter le spectateur.

Aujourd'hui, heureusement, nous pouvons apprécier sans crainte la proposition inventive et rythmée de Ratmanski, filmée par Vincent Bataillon, dont une première scène de gymnastique collective suffit à dénoncer toute l'absurdité d'un système totalitaire – on retrouvera le chorégraphe en janvier prochain, à Paris. À la tête d'un orchestre clair et équilibré, Pavel Sorokin propose une lecture tranchée de cette succession de parades de Komsomols, marches de l'Armée Rouge et autres bouffonneries qui révèlent toute l'ironie d'une satire chaudement recommandée.

LB