Chroniques

par bertrand bolognesi

Domenico Alaleona
Mirra

1 coffret 2 CD Naïve / Radio France (2004)
V 5001
Domenico Alaleona | Mirra

À quiconque continue de vouloir penser que la musique est ici comme cela, comme ceci là, il conviendra d'écouter attentivement cet opéra qui ne manquera pas de bouleverser une classification rassurante. Né en 1881, Domenico Alaleona a exercé à Rome les activités de compositeur, de musicologue et d'historien de la musique, jusqu'à sa mort en 1928, laissant rien moins que six cents œuvres complètement oubliées aujourd'hui. Sa Mirra, écrite de 1908 à 1912, fut représentée au Teatro Costanzi le 31 mars 1920, et dut attendre 2002 pour une nouvelle exécution en concert à Jesi, et enfin la première parisienne dont ce live est l'empreinte, à l'automne 2003, à la Maison Ronde. Ici, le lyrisme italien rencontre les tourments viennois, de sorte que cette Mirra semble le fruit improbable du mariage de Puccini et Mahler, cousine de Schreker, Korngold et Wolf-Ferrari, illustrant une intrigue un rien sulfureuse véhiculée par un texte truffé de métaphores freudiennes. Il en résulte une écriture chatoyante, une tendance à la surenchère parfois copieuse, un grand raffinement qui pourtant se perd dans l'auto-délectation, jusqu'au kitch, un sens dramatique aigu, un art du suspens admirable. Bien malin celui qui, sans préparation ni préambule, situerait cette facture particulièrement hybride ! Dans le détail, on remarquera certaines inégalités, un livret intéressant mais faible à plusieurs endroits, des changements de climats très excitants, une fort belle expressivité ; mais, indéniablement, le compositeur est mort trop tôt, sans avoir pu affiner son style ni affirmer sa personnalité.

À la barre, Juraj Valcuha équilibre le lyrisme à la clarté de l'ensemble, profitant généreusement de l'écriture des cordes. La tension dramatique est magistralement conduite, tout en colorant l'interprétation avec beaucoup de souplesse, faisant à juste titre entendre quelque chose de lointainement wagnérien dans l'interlude, une parenté avec Zemlinsky dans le début de la scène 7 du premier acte, etc. Les musiciens de l'Orchestre National de France servent somptueusement la partition, fermement exécutée (remercions le chef de ne s'être pas adonné à une pâtisserie plus crémeuse !).

Côté voix, la réalisation est efficace. Une fois de plus,Hanna Schaer affirme une présence précieuse en proposant une Euriclea à la voix homogène servant une belle ligne de chant. Le Pereo de Mario Malagnini est vaillant, avec un timbre attachant, mais un chant peu nuancé, une relative dureté dans l'aigu, et de nombreux tics italiens qui donnent un parfum suranné à sa prestation. Ciniro, le père objet du désir de sa propre fille, est Franck Ferrari : le grain de la voix est superbe, le rôle intelligemment mis en relief. Enfin, Denia Mazzola-Gavazzeni offre une richesse de couleur exceptionnelle au rôle-titre, libérant un bel aigu, au service d'une expressivité évidente. La vision des Furies est proprement effrayante, le soprano possédant une réelle puissance évocatrice. Plus on avance dans la partition, mieux elle gère ses moyens vocaux, jusqu'à la mort. On regrettera un chœur plutôt bien traité en ce qui concerne l'interprétation et l'équilibre, mais accusant de gros soucis de justesse ; en revanche, bravo à la Maîtrise.

BB