Chroniques

par laurent bergnach

Erich Wolfgang Korngold
Die tote Stadt | La ville morte

2 DVD Opus Arte (2013)
OA 1121 D
Die tote Stadt, opéra d'Erich Wolfgang Korngold (1920)

Connu à la fin de sa vie pour ses musiques de film destinées à Hollywood – près d’une vingtaine, entre A midsummer night’s dream (1935) et Magic fire (1956) –, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) débute sa carrière en Europe, de façon somme toute classique, avec notamment quelques musiques de scène, arrangements d’opérette et cinq opéras : Der Ring des Polykrates, Violanta (1916), Die tote Stadt (1920), Das Wunder der Heliane (1927) et Die Kathrin (1939).

Le troisième de ces ouvrages lyriques (Op.12) repose sur Bruges-la-Morte (1892), roman symboliste de Georges Rodenbach d’abord publié sous forme de feuilleton dans les colonnes du Figaro, dont Julius Korngold, père du compositeur, tire un livret en trois actes, qu’il signe du pseudonyme de Paul Schott. « Le monde dans lequel Korngold composait était très différent de celui dans lequel avait écrit Rodenbach, explique Adrian Mourby dans la notice qui accompagne ce film. L’auteur belge était pris dans une angoisse fin-de-siècle où l’art et la civilisation avançaient vers le terme d’un siècle qui avait laissé l’Europe transformée par la technologie, le nationalisme et les politiques extrémistes. En revanche, Korngold composait pour une Europe dévastée par la plus violente guerre jamais menée et par l’anéantissement des empires. »

De fait, la Vienne qui accueillit la pantomime Der Schneemann (1910) du tout jeune Erich n’est plus le cœur du puissant empire des Habsbourg « mais la capitale administrative d’une petite république pauvre » (dixit Mourby). Hambourg et Cologne auront donc l’honneur partagé de faire découvrir son opéra, le 4 décembre 1920, avec le duo Pollak/Löwenfeld d’un côté, et Klemperer/Rémond de l’autre. Après quelques années de succès à travers le monde, l’ouvrage au postromantisme riche et chromatique est soudain jugé suranné et n’a plus la faveur des théâtres.

En novembre 2010, l’Opéra national de Finlande (Suomen Kansallisooppera) le programme avec bonheur. Kasper Holten y met en scène une chambre-mausolée qui semble tout d’abord excessive, avant de gagner rapidement notre adhésion. L’invasion de la ville mortifère est traitée avec poésie par la concomitance lumineuse aux fenêtres et dans les reliquaires embroussaillant la scène. Si Pier Luigi Pizzi avait parié sur un portrait en pied de la morte pour la rendre toujours présente [lire notre critique du DVD], c’est ici la comédienne Kristi Valve qui marque les esprits par son omniprésence – souvenir ou fantasme du couple-vedette. On apprécie aussi le traitement franc de l’onirique acte médian.

Klaus Florian Vogt (Paul) excelle en veuf halluciné, avec sa simplicité d’expression et, comme toujours, une clarté enfantine au service de phrases tendrement menées. S’emparant sans peine de la scène et du cœur du public avec son rôle drôle et attachant, Camilla Nylund (Marietta) rayonne par un chant ample, fiable et généreux. Markus Eiche (Franck/Fritz) offre des nuances appréciables, tandis que Sari Nordqvist (Brigitta) possède l’autorité du personnage, ainsi qu’une voix chaude et souple qu’elle laisse malheureusement dériver quelque fois. Ténor vif, Per-Håkan Precht (Victorin) retient aussi notre attention. Attentif aux voix, Mikko Franck livre une lecture équilibrée, sans effets parasites. [distribution DistrArt Musique]

LB