Chroniques

par laurent bergnach

Ermanno Wolf-Ferrari
La vedova scaltra | La veuve rusée

1 coffret 2 CD Accord (2004)
476 2675
Ermanno Wolf-Ferrari | La vedova scaltra

Tombé peu à peu dans l’oubli à l'inverse de son exact contemporain Ferruccio Busoni, Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948) est né d'une mère vénitienne et d’un père allemand – un peintre qui le pousse très jeune vers des études artistiques, à Venise où ils vivaient, à Rome puis à Munich – ; si bien que le sérieux germanique et la fantaisie italienne le nourriront toute sa vie, et que la Première Guerre mondiale l’affectera tout particulièrement. Vers vingt ans, Wolf-Ferrari choisi de se consacrer à une carrière musicale et devient tour à tour compositeur, directeur de conservatoire, enseignant. Jusqu'à sa mort, il édite treize opéras (composés de 1903 à 1943) ; des onze appartenant au genre comique, cinq furent inspirés par le génial Goldoni. Plus nostalgique que passéiste, le XVIIIe siècle vénitien, de même que la voix humaine, seront longtemps au centre de sa création.

Après Le donne curiose (Les Femmes curieuses, 1903), I quattro rusteghi (Les rustres, 1906), Gli amanti sposi (Les Amants époux, 1925), le compositeur retrouve donc son auteur fétiche avec La vedova scaltra (La Veuve rusée) qui est créé le 5 mars 1931 à Rome. L'argument est simple : une jolie veuve vénitienne hésite à choisir parmi quatre soupirants et doit recourir à la ruse pour élire l'amoureux véritable. Après une réflexion à double sens comme « Plaire et prendre sont deux choses différentes », on sait dès le départ que Rosaura est une femme intelligente et subtile, et que l'humour de la pièce ne reposera pas sur des bastonnades… Au talent littéraire de Goldoni (les suffisances masculines, les vanités patriotiques, etc.) s'ajoute celui du compositeur : des fortissimi dramatiques grotesques – roulement de tambour sur l'exhibition de l'arbre généalogique, effets de cuivres sur l'air de la vengeance d'Arlecchino – interviennent régulièrement, et c'est irrésistible ! Félicitons Enrique Mazzola pour le relief qu'il donne à cette partition – qui puise autant chez Mozart que chez Mascagni – avec la complicité de l'Orchestre national de Montpellier. Si les temps morts sont rares et respectent ainsi le rythme de la Commedia, n'oublions pas certains passages plus sensuels, comme cette légère et tendre séance de coiffage (Acte I) ou la triste méditation de Rosaura (Acte II), accompagnée d'un clavecin et d'un violoncelle.

Nous découvrons Anne-Lise Sollied (Rosaura) et Henriette Bonde-Hansen (Marionette) grâce à un très beau duo maîtresse/femme de chambre, qui affiche leur connivence et assure de l'agilité des deux soprani. On a plus de réserve en ce qui concerne la distribution masculine. S'il n'y a généralement rien à redire sur la puissance, certains pèchent par un petit défaut : Jonathan Veira (Don Alvaro) souvent vacillant, Francesco Piccoli (Conte di Bosco Nero) parfois nasillard, Evgueni Alexiev (Arlecchino) un peu engorgé. Mais ces petites réticences, tout comme les « quelques petits frottements parasites » de l'enregistrement public dont s'excuse René Koering – qui a signé la mise en scène de cette comédie lyrique, il y a quelque temps [lire notre chronique du 25 avril 2004] – sont peu de choses à côté du plaisir que l'on prend à cette histoire pleine de suspense et de rebondissements.

LB