Chroniques

par laurent bergnach

Ernö von Dohnányi
intégrale des mélodies

1 CD Hungaroton (2001)
HDC 31949
Ernö von Dohnányi | intégrale des mélodies

Surtout connu pour ses œuvres symphoniques, compositions pour piano et ensembles de chambre, Ernö von Dohnányi (1877-1960), dans ses jeunes années, s'est intéressé au Lied. Il nous laisse trois cycles avec accompagnement orchestral ainsi que ce qui compose le programme de cet enregistrement : trois cycles de Lieder avec piano plus un Lied indépendant – la ballade Waldefelein (1905), habitée d'elfes et de lutins. L'influence de Schumann est sensible chez le jeune compositeur.

L'opus 14, sur des poèmes de Victor Heild, date de 1905-06. La plainte (Pourquoi pleures-tu, mon violon ?), le ton populaire et plaisantin (Je veux un jeune hussard), la nostalgie (Chansons oubliées, amours oubliées) côtoie l'univers fantastique du romantisme précoce (L'épouse du troll des montagnes, Le roi Barbre). En évitant le chromatisme et les modulations surprenantes, Dohnányi cherche à reproduire les caractéristiques de la poésie mise en musique ; ses accords se résolvent dans l'harmonie. La grâce et le recueillement de ce cycle n'ont rien à envier aux meilleurs maîtres allemands.

Loin du genre épique de la ballade, Im Lebenslenz Op.16 (Le printemps de la vie) dépeint un univers Fin de Siècle, contemporain de son auteur : le poète Conrad Gomoll. Monde onirique, amours impossibles et désir de mort sont au cœur de ce cycle de 1906-07. Ici les chromatismes fréquents évités précédemment servent à illustrer un monde insaisissable et irréel (En songe, Sérénade…).

Comme ses confrères Kodály et Bartók, Dohnányi s'intéresse fortement, entre 1915 et 1922 – date de ce dernier cycle, Les Chants populaires hongrois – à la musique traditionnelle de son pays. Citons par exemple Variations sur un chant populaire hongrois (1917), la Pastorale et le Credo (1920). Les textes utilisés, structurés en strophes, sont accompagnés par un piano effacé, à l'harmonie très simple (mode majeur / mineur) qui semble juste esquisser une atmosphère sans étouffer la beauté du chant.

Le soprano Ingrid Kertesi a chanté beaucoup de rôles qui réclamaient de la légèreté (Susanna dans Le Nozze di Figaro, Despina dans Così fan tutte, Marzelline dans Fidelio, Gilda dans Rigoletto, Adele dans Fledermaus, etc.) et dans des oratorios plus retenus de Bach, Händel ou Pergolesi. On n'a pas de peine à constater tout ce que sa pratique de la scène, sa confrontation avec des œuvres sacrées, apportent à son chant cristallin et nuancé.

Contrairement à d'autres chanteuses plus réputées mais statiques sur leur piédestal, Ingrid Kertesi cisèle les phrases et explore toute une palette d'émotions. Tour à tour, elle est mutine, enjôleuse ou d'une tristesse à pleurer sur le premier cycle gravé ; taquine, recueillie ou tourmentée sur le second ; héroïque ou apaisée sur le dernier. Le jeu discret et doux de la pianiste Márta Gulyás l'accompagne dans cette intégrale chantée en hongrois et en allemand. Une belle découverte…

LB