Chroniques

par hervé könig

Ernst Toch
Concerto Op.35 – Sonate Op.50 – Impromptu Op.90c

1 CD Albany Records (2000)
TROY 421
Ernst Toch | œuvres avec violoncelle

Devant la stricte opposition d'un père marchand à toute formation musicale, Ernst Toch (né à Vienne en 1887) commence son apprentissage en autodidacte. Copiant en secret notamment des partitions de quatuors de Mozart, il se familiarise avec la composition ; si bien qu'à l'âge de 17 ans, il est déjà l'auteur de sept pièces pour cette formation à cordes. Son talent éclate au grand jour lorsque, en 1909, il remporte le Prix Mozart qui lui donne droit à un an d'étude au Conservatoire de Francfort. Il part s'installer en Allemagne, recevant dès 1913 la charge d'un cours de piano et de composition à l'École de Musique de Mannheim.

Après la Première Guerre mondiale, Toch entre dans une période de quinze années très prolifique – il publie une trentaine d'œuvres marquées par un changement stylistique moins ancré dans la tonalité – qui lui assure un certain renom. Ainsi, dès 1922, sa musique est-elle régulièrement jouée à Donaueschingen. Mais une nouvelle guerre se prépare… Une grande tournée lui ayant fait connaître les États-Unis l'année précédente, c'est à Los Angeles que le compositeur et sa famille viendront s'installer en 1933, fuyant le nazisme triomphant. Comme beaucoup de ses collègues européens, son langage novateur ne rencontre pas l'audience escomptée, et sa vie d'exilé se partage entre l'enseignement et la production de musique de films. Avant qu'un cancer de l'estomac eût raison de lui en 1964, il moquait amèrement le « compositeur le plus oublié au monde » qu'il lui semblait être devenu.

Loin de l'ampleur des sept grandes symphonies écrites dans les années cinquante, c'est à la rencontre d'œuvres chambristes plus anciennes que nous invite le présent enregistrement. Prix de la meilleure pièce instrumentale au Concours Schott, le Concerto pour violoncelle et orchestre de chambre Op.35 (1925) fut créé par Klemperer. L'orchestre, composé d'un quintette à vent et d'un quatuor de cordes, discrètement mais efficacement appuyés par la percussion, est avare en tutti. Dans ces quatre mouvements de forme classique – quoique scherzo et adagio soient permutés –, les instruments s'expriment presque individuellement, comme dans des formations réduites. Écrit au milieu des années vingt, cette page nous laisse entendre la connaissance que Toch avait prise des travaux de Schönberg, notamment en ce qui concerne le traitement des vents. Sa facture surprenante sait aussi mêler des accents du Strauss de Salome (fin du premier mouvement) à la nudité de mélopées que l'on rencontre dans de nombreux passages de Chostakovitch (troisième mouvement), la scansion populaire de Eisler au panache de Stravinsky (finale). Ces diverses influences, ainsi qu'une volonté de se démarquer des travaux de Schreker, alors à la mode, construisent ici une personnalité nettement dessinée à l'approche de laquelle la lecture très précise de Sylvia Alimena à la tête de l'Eclipse Chamber Orchestra contribue avantageusement.

C'est pour Emanuel Feuermann, qui avait défendu plus d'une soixantaine de fois le Concerto Op.35, que Toch écrivit en 1929 sa Sonate pour violoncelle Op.50. Exigeante et virtuose, elle est une référence évidente à Bach, avec son premier mouvement qui développe, construit et contrepointe à partir d'un motif unique, son Allegro final festif et spontané. Quant à l'Intermezzo, à chacun d'interpréter son mystérieux sous-titre : Die Spinne (L'araignée), qu'on découvre tant sinueux qu'énigmatiquement méditatif sous l'archet de Steven Honigberg – diplômé de la Juilliard School of Music, élève de Leonard Rose, Channing Robbins, Pierre Fournier, etc. – accompagné par la sensibilité discrète du piano de Kathryn Brake.

En 1963, pour les soixante ans de son élève, violoncelliste et compositeur Gregor Piatigorsky (1903-1976), Ernst Toch écrivit Trois Impromptus pour violoncelle solo – gravés ici pour la première fois. Steven Honigberg en donne une interprétation soignée sur un Stuart Stradivarius de 1732, soulignant à peine le lyrisme désolé de l'Andante cantabile, lui aussi proche de Chostakovitch, mais aussi de Dvořák et de certains Américains, la grâce peut-être plus française de la pièce médiane, pour laisser s'éteindre le disque dans le douloureux, sombre et saisissant Adagio. Cet échantillon de l'univers d’Ernst Toch s'avère tout-à-fait réussi, donnant envie de poursuivre. En outre, l'enregistrement live de l'Opus 35 ajoute une touche enthousiaste à notre écoute.

HK