Chroniques

par laurent bergnach

Francesco Cavalli
La Didone | Didon

1 DVD Opus Arte (2012)
OA 1080 D
Francesco Cavalli | La Didone

Écrit par Virgile entre 29 et 19 avant la naissance du Christ, Énéide (Aenis) s’inspire des ouvrages du Grec Homère (Iliade et Odyssée) pour promouvoir des valeurs romaines comme le travail de la terre, le courage et le respect auxquelles tenait beaucoup l’empereur Auguste. Comme son nom l’indique, l’épopée d’environ dix mille vers a pour héros Énée, fils d’Anchise et de la déesse Vénus, devenu l’ancêtre mythique du peuple romain après avoir fui sa cité en ruines. Le Livre IV, principalement, qui traite des amours du Troyen avec la reine de Carthage, inspire le Vénitien Gian Francesco Busenello pour un livret remis à Francesco Cavalli (1602-1676), un musicien avec lequel il a déjà collaboré – Gli amori d'Apollo e Dafne(1640) –, et collaborera encore – La prosperità infelice di Giulio Cesare (1646), La Statira, principessa di Persia(1655) –, une fois livrée à Monteverdi matière à son Incoronazione di Poppea (1642).

Quelques années avant le populaire Giasone (1649) [lire notre critique du DVD] ou L’Ercole amante (1662) [lire notre critique du DVD et notre chronique du 28 septembre 2006], le natif de Crema (Lombardie) trouve dans l’Antiquité le personnage principal de son opera rappresentata in musica en un prologue et trois actes, sans en faire cependant le rôle-titre – peut-être faut-il y voir un hommage aux deux tragédies du XVIe siècle qui ont également inspiré Busenello : les Didone de Giraldi Ciuthiuo et de Ludovico Dolce ?

Le 24 janvier 1641 (1er mars 1641, selon d’autres sources), durant le Carnaval de Venise, le Théâtre Tron di San Cassiano propose au public la découverte d’un ouvrage qui offre à Didon, in fine, un mariage avec Iarbas, roi de Numidie. Le 16 octobre 2011, c’est au tour de Caen, ville où s’est implanté Le Jardin des Voix [lire notre critique du DVD], d’accueillir la première d’une production confiée à William Christie – à la tête des somptueux Arts Florissants – et à Clément Hervieu-Léger. Entouré d’Éric Ruf (décor) et de Caroline de Vivaise (costumes), l’ancien assistant de Chéreau propose une vision théâtrale qui capte d’emblée l’attention, faisant un plaisir rare de ce spectacle tout en fluidité. De fait, les chanteurs sont particulièrement investis, comme put le constater le public à la reprise parisienne [lire notre chronique du 12 avril 2012].

Anna Bonitatibus (Didone) n’affiche pas les habituelles minauderies de gamines délaissées : c’est une reine qui donne de la présence à un chant large par la pensée de son jeu. Dans la lignée de son Ulysse passé [lire notre critique du DVD], Krešimir Špicer (Enea) offre un ténor ferme, évident et d’une tendresse incroyable. De même la haute-contre Xavier Sabata (Iarba) s’avère-t-il délicat et nuancé (aux accents de baryton parfois). Maria Streijffert (Ecuba) mêle sureté et intensité expressive. Katherine Watson (Cassandra) se montre agile, mais abuse un peu du souffle dans les passages « tire-larmes ». Tehila Nini Goldstein (Creusa) possède pour le moins de la sensibilité [lire notre chronique du 16 août 2012] et Marianna Rewerski (Anna) de la couleur. Claire Debono (Venere) séduit également. En revanche, de même que Terry Wey (Ascanio) paraît un peu fragile et Valerio Contaldo (Corebo) nasillard, Mathias Vidal (Ilioneo) déçoit par l’alternance de quelques douceurs à trop d’écorchures.

LB