Chroniques

par laurent bergnach

Francis Poulenc
intégrale des mélodies sur les poèmes de Paul Éluard

1 CD Eloquentia (2013)
EL 1343
Marc Mauillon chante l'intégrale des mélodies de Poulenc – Éluard

Quand Poulenc démarre Journal de mes mélodies en novembre 1939, après avoir entendu « miauler » à la radio, une nouvelle fois, certaines de ses pièces vocales, c’est afin de servir de guide aux interprètes qui auraient à cœur de respecter son travail plutôt que de le massacrer en écoutant leur instinct. Sur la question de l’interprétation calamiteuse, ce texte est le plus connu ; mais le compositeur exprime ses desiderata à plusieurs occasions, comme celle offerte par le magazine Conferencia en décembre 1947 (n°36). Il insiste :

« avant tout, je demande à mes interprètes de chanter, de chanter toujours, de chanter vraiment, comme s’il s’agissait d’un Liedde Schumann ou d’une mélodie de Gounod. J’aime le chant pour le chant ; c’est pourquoi je déteste de qu’on appelle, par un généreux euphémisme, les chanteuses intelligentes… généralement privées de voix. Peu m’importe la prétendue compréhension jusqu’à l’extrême des mots, si le chanteur ou la chanteuse sont dépourvus de legatoet si des insuffisances techniques brisent la ligne musicale ! Si un interprète est intelligent, par surcroît, tant mieux ! S’il chante bien, cela me suffit déjà amplement » (in J’écris ce qui me chante, Fayard 2011) [lire notre critique de l’ouvrage].

Toujours dans le même texte, « Mes mélodies et leurs poètes », Francis Poulenc rappelle comment Paul Éluard est devenu, avec Apollinaire son « collaborateur le plus familier ». Dès 1932, il annonce à Nino Franck travailler sur « des Poèmes d’Éluardd’une facture assez irréelle » (Candide, n°424) mais c’est l’opportunité d’écrire de nouvelles pièces pour le baryton Pierre Bernac, qu’il accompagne en récital depuis 1934, qui incite Poulenc à se tourner vers un ami admiré depuis toujours mais dont il redoutait « la prosodie pleine de pièges ».

Accompagné par Guillaume Coppola et en familier de Poulenc [lire notre chronique du 20 décembre 2007], Marc Mauillon livre l’intégrale des mélodies écrites par le gaulliste catholique sur les poèmes du militant communiste, sans se soucier de respect chronologique mais plutôt de servir la mélancolie du temps de guerre : Cinq poèmes de Paul Éluard (1935), Tel jour, telle nuit (1937), Miroirs brûlants (1938/39), Ce doux petit visage (1939), Main dominée par le cœur (1946), Mais mourir (1947), La fraîcheur et le feu (1950), Le travail du peintre (1956) et Une chanson de porcelaine (1958).

Doté d’une couleur claire, très française de baryton Martin, l’interprète séduit aujourd’hui encore par sa simplicité et sa souplesse (Plume d’eau claire) qui lui autorise une grande fermeté vocale (Paul Klee) comme de superbes aigus tenus pianississimo (Une herbe pauvre). S’il faut des réserves, elles concernent le suraigu, parfois tendu. Tout aussi nuancé, on apprécie un pianiste précis dans sa frappe (Marc Chagall), connaisseur de Granados, qui peut conduire l’auditeur aux confins du son (Juan Gris) comme à sa flamboyance (Joan Miró). Incontestablement, nous avons là un duo inspiré !

LB