Chroniques

par bertrand bolognesi

Franz Schubert
Lieder

1 CD Harmonia Mundi (2004)
HMC 901822
Franz Schubert | Lieder

La discographie des Lieder de Franz Schubert s'enrichit aujourd'hui d'une nouvelle parution Harmonia Mundi dans laquelle nous retrouvons Dietrich Henschel dans un répertoire qu'il connaît bien. Après Kornglod, Löwe ou Beethoven, le baryton nous invite à un voyage des plus romantiques où l'on croisera les thèmes de la lune, comme le titre du disque le suggère – en référence à An den Mond in einer Herbstnach D614 (Aloys Schreiber) et à Der Wanderer an den Mond D870 (Johann Gabriel Seidl) –, mais aussi la terre, l'eau, le vent et la tempête, la forêt, la brume, la course folle et l'errance, l'amour et la vengeance, et bien sur celui de la mort qui vient unifier ce choix d'une vingtaine de poèmes.

Du timbre attachant qu'on lui connaît, Dietrich Henschel suit pas à pas chaque évocation, avec sensibilité et intelligence. Il éclairera peu à peu la plainte mélancolique qui ouvre Der Wanderer an den Mond d'une adresse directe plus sereine, servie par la pâte très homogène d'un chant plutôt retenu. Sehnsucht est à juste titre révélé moins dramatique, préparant la chute du texte : le bonheur et l'enthousiasme rencontrés lors de la création artistique, même lorsque l'aiguillon en est une absence douloureuse, sont plus forts que celui-ci. La voix sait se montrer d'une infinie tendresse dans Im Freien où l'on pourrait bien avoir le sentiment que le chanteur disparaît au profit du poème, sans que son chant soit insuffisant, au contraire ; l'absence d'effets, la grande tenue générale de l'interprétation, amènent une réalisation délicate. Henschel use à merveille d'un aigu lumineux dans An die Apfelbäume, intégrant la fraîcheur du thème sans concéder à quelque mièvrerie que ce soit. Au tant vaillant que raffiné Liebesrausch – attention toutefois de ne pas détimbrer la deuxième strophe – succède une lecture à l'expressivité investie de la longue ballade Lebensmut, alors que le Lied eines Schiffers an die Dioskuren véhiculera le ton inspiré et respectueux d'une hymne religieuse. Meeres Stille est une des plus belles pages de ce disque, le chanteur y maintenant une prodigieuse égalité tout en ménageant de fort belles choses en voix mixte ; réellement pas une vague ne frémit, si ce n'est que l'immense horizon s'enfle à peine. À l'inverse, un très grand relief est ici donné au texte de Totengräberweise, avec ses accroches parfois goguenardes. Nachstück émeut, tandis que la veine supplication à demi résignée de Das Zügenglöcklein invite à la méditation. L'efficacité du chant est évidente dans Über Wildemann, jouant magistralement les diverses péripéties de Auf der Bruck.

Très peu de réserves sur cet enregistrement, donc. Pourquoi avoir choisi Wehmut D772 (Matthäus von Collin) qui demeure une des pages les plus faibles de Schubert ? Par ailleurs, lorsqu'il s'exprime avec véhémence, l'aigu du baryton, bien qu'à de forts rares exemples, est un rien arraché, trop tendu. Enfin, Der Schiffer D536 (Johann Mayrhofer) semble étonnamment ne pas jouir de la santé vocale qu'il requiert.

Mais cela s'équilibre avec quatre joyaux, au moins : le comme suspendu Meere Stille D216 (Johann Wolfgang von Goethe) évoqué plus haut, le très contrasté An den Mond in einer Herbstnacht D614 où la voix affirme une belle souplesse, le bouleversant Totengräbers Heimwehe D842 (Jakob Nikolaus Craigher), dont l'élévation – au figuré comme au propre – fait froid dans le dos, enfin le fabuleusement expressif Der Zwerg D771 (Matthäus von Collin) où Dietrich Henschel peint un paysage, y pose les personnages, les chante, les habite, montre et fait naître la situation et le sentiment jusqu'à la terreur. Ici, l'on admirera également le piano de Helmut Deutsch dont la régularité est littéralement impitoyable, et qui révèle une expressivité d'une grande musicalité dans tout le disque.

BB