Chroniques

par michel slama

Franz Schubert
transcriptions pour piano et violoncelle

1 CD Mirare (2017)
MIR 324
Claire-Marie Le Guay et François Salque transcrivent des pièces de Schubert

Pour Mirare, le duo composé par Claire-Marie Le Guay [lire notre critique du CD Bach] et François Salque [lire notre chronique du 22 mars 2018] enregistrait en juin 2016 des transcriptions pour violoncelle et piano d’œuvres de Franz Schubert, autour du thème du Wanderer. Il s’agit bien de ce voyageur errant, un vagabond particulièrement solitaire et mélancolique que le Viennois évoqua à plusieurs reprises, à travers de nombreux Lieder et des cycles comme Winterreise D911 (Le voyage d’hiver) [lire nos chroniques des 19 décembre 2018 et 11 mai 2010].

La voix laisse ici sa place au violoncelle au travers de transcriptions de mélodies parmi les plus célèbres du compositeur. On y trouve une sélection de ses Lieder les plus sombres et les plus pathétiques, comme Der Wanderer D489, Wandrer’s Nachtlied D224 (Chant nocturne du voyageur) en forme de marche funèbre, Klaglied D23 (Plainte), Lob der Tränen D711 (Louange des larmes) et le très célèbre Nacht und Träume D827 (Nuit et rêves). Ce n’est ni Ständchen D957, ni l’Ave Maria D839 qui vont apporter un peu de joie et d’apaisement à l’auditeur, et encore moins la très fameuse Sonate en la mineur pour arpeggione D821, particulièrement maussade, dont on se demande bien ce qu’elle vient faire dans ce programme sépulcral…

Poussé par la thématique de spleen, notre duo semble s’égarer dans un pessimisme noyé par la dépression. Dès les premiers accords du piano, on est surpris par le rythme alangui et sinistre choisi pour révéler la vision de l’œuvre, fêtée de nombreuses fois au disque par les plus grands. Rappelons que l’arpeggione était un instrument à cordes à mi-chemin entre le violoncelle et la guitare dont il a les six cordes et l’accord. On l’appelait aussi guitare d’amour. Il se jouait entre les genoux, comme le violoncelle. Breveté en 1823, il eut une existence éphémère de quelques décennies. Schubert composa sa fameuse Sonate D821 en 1824, à la demande du guitariste viennois Vincenz Schuster. Elle était censée mettre en valeur toutes les possibilités techniques et expressives du nouvel instrument.

La déception est d’autant plus forte qu’aucune des qualités annoncées ne se trouve dans cette interprétation honnête mais comme inanimée. À force d’étirer les tempi à l’envi, les musiciens distillent un désenchantement et un ennui mortifère qui deviennent petit à petit insupportables. C’est d’autant plus étrange qu’on apprécie particulièrement ces interprètes de haut niveau qui, visiblement, se sont fourvoyés dans ce projet. Concernant la sonate, il est vraisemblable qu’ils aient souhaité rester dans la logique contemplative du Wanderer pour cette partition toute de virtuosité et de mystère malicieux. Aussi servent-ils peu la virtuosité démonstrative, lui préférant une mélancolie et une langueur hors de propos. On perd les rythmes endiablés et dansants au profit d’une désespérance inexorable qui se perpétue dans l’ensemble de l’album. À insister sur l’atmosphère de désolation confinant à de la musique funèbre, le résultat est désincarné et sinistre. Malgré leurs mérites, la pianiste comme le violoncelliste restent extérieurs et ne nous touchent en rien – on ne pourra pas se plaindre d’un excès de pathos et de sensiblerie. C’est d’autant plus regrettable que le sujet, comme le choix des opus, est original et intéressant.

Un rendez-vous manqué au disque, mais un programme qu’ils ont interprété lors des nombreuses tournées effectuées en France, et particulièrement lors de La Folle Journée 2018 à Nantes dont le leitmotiv était Vers un monde nouveau (le CD parut au moment de la manifestation).

MS