Chroniques

par françois-xavier ajavon

Frederik Delius
œuvres pour orchestre (vol.4)

1 CD Naxos Historical (2005)
8.110984
Frederik Delius | œuvres pour orchestre

Naxos poursuit la publication des archives en 78 tours du chef d'orchestre Thomas Beecham (1879-1961), concernant l'œuvre du compositeur britannique Frederik Delius. Le label a déjà édité plusieurs volumes, dont trois sur les œuvres orchestrales de l'auteur de la célébrissime Song of summer et un autre – que nous avons chroniqué ici-même l’an passé [lire notre critique du CD] – sur quelques-unes de ses œuvres vocales. Nous avions d'ailleurs écrit cette remarque troublante, bien avant les attentats londoniens : « Il y a dix ans de cela, les responsables du métro londonien, confrontés à une hausse inquiétante de l'insécurité dans The Tube, avaient songé à diffuser la musique de Frederik Delius par les haut-parleurs de service afin d'adoucir les mœurs des délinquants locaux ». Que diable ne l'ont-ils fait ?

On retrouve dans ce quatrième volume des reports 78 tours qui avaient déjà été publiés par EMI en qualité digitale, il y a quelques années. Cependant, là où les trois premiers volumes orchestraux exploitaient de vielles galettes passablement inaudibles et brumeuses des années vingt et trente, ce CD utilise avantageusement des enregistrements à la qualité très honorable qui s'étalent de 1946 à 1952, dont des captures intéressantes réalisées durant le second Delius Festival de Londres.

La Marche Caprice (1889-90) est le final plein de gaieté et d'insouciance d'un ensemble de trois pièces intitulé Morceaux caractéristiques (en français dans le texte). Assez typique du premier formalisme du jeune Delius, cette page est imprégnée d'un esprit britannique plein de pompe et d'une certaine emphase, que l'on pourra oublier bien vite. En 1897, avec la très subtile sérénade Over the hills and far away, inspirée à la fois par Grieg et Wagner, Delius s'engage sur un terrain plus personnel et lyrique. À trois reprises, Beecham est revenu sur cette œuvre au disque (cf. notamment le vol. 2 de la série Naxos Historical), ce qui en dit assez long sur son intérêt pour l'alternance de sérénité mystique et de vitalité ébouriffante de ce remarquable opus.

En 1907, Delius écrit Brigg Fair (An English Rhapsody) sur la base d'une folksong anglaise que lui a fait découvrir son ami, le compositeur et musicologue Percy Grainger – les plus curieux pourront aller écouter la version originale de cette folksong, sous la plume ethnomusicologique de Grainger, dans l'enregistrement Salute to Percy Grainger de Benjamin Britten & Steuart Bedford (chez Decca), où Peter Pears prête sa voix à cette sérénade subtile du Lincolnshire. Delius fait de cette chanson populaire, simple et délicate, une vaste fresque de plus d'un quart d'heure, explorant les moindres recoins de son univers, exploitant chacune des parcelles de sa logique narrative, écrivant au final une authentique rhapsodie britannique moderne, mi-hymne national bis, mi-bluette régionaliste, au charme puissant mais daté. Comme Brigg Fair, la Dance Rhapsody n°1 (1908-1909) s'ouvre par un prélude de quelques minutes, avant d'introduire les principaux thèmes du voyage ; elle présente un certain nombre de variations et d'échanges entre le violon solo et le hautbois, à partir d'un thème initial enjoué. Mon tout fait une œuvre relativement banale que l'on peut également oublier assez vite.

Plus difficile, en revanche, d'oublier les inflexions nordiques, douces et nostalgiques, d’On Hearing the first Cukoo in spring (1912), page de quelques minutes influencée par Grieg. À l'image de son maître scandinave, Delius se montre ici à l'écoute des sons de la forêt et d'un certain balancement éternel de la nature au sein duquel l'inévitable coucou résonne avec une évidence touchante. En quatre mouvements équilibrés, se reportant aux quatre saisons, les North Country Sketches de 1914 dressent un portrait très graphique (jusqu'au cinématographique) de l'Angleterre natale, plus précisément de l'inénarrable Yorkshire ; on s'attardera sur l'hiver déchirant aux motifs récurrents, les danses estivales, et la marche printanière à la puissance naturelle.

Dans ces enregistrements, Delius est incarné par un chef passionné. Thomas Beecham ne se contente pas de diriger cette musique, il la vit, car il est encore de la génération bénie de ceux qui ont partagé le monde victorien et vaguement décadent du compositeur. Évidemment, l'achat s'impose, malgré un livret tristement famélique signé Lyndon Jenkins, responsable de la Delius Society, pourtant. Comme d'habitude, les mélomanes francophones devront faire avec un texte anglais…

FXA