Chroniques

par laurent bergnach

Gabriel Fauré
Correspondance – Lettres à Madame H.

Fayard (2015) 914 pages
ISBN 978-2-213-68708-7
Jean-Michel Nectoux annote un vaste choix de lettres de Gabriel Fauré

Déjà l’auteur d’une biographie de Gabriel Fauré (1845-1924) [lire notre critique de l’ouvrage], Jean-Michel Nectoux a aussi publié la correspondance complète entre le musicien et son maître Camille Saint-Saëns (Société française de musicologie, 1973/1994), ainsi qu’une sélection de lettres inédites (Flammarion, 1980). Ces dernières font la base du présent volume, auquel s’ajoutent de nouveaux textes inédits, conservés dans des archives privées et les grandes bibliothèques. Ce corpus représente plus de cinq cents lettres choisies pour leur intérêt musicologique, biographique et psychologique, couvrant la période du 7 mars 1855 au 6 septembre 1924, qu’il fallut souvent dater par déduction.

Bien sûr, dès 1862, une place particulière est faite au père d’Hélène [lire notre critique du CD], auquel l’ancien apprenti musicien de Tarbes, devenu directeur du conservatoire de Paris, conserverait son affection jusqu’au soir de sa vie – « ce fut Saint-Saëns qui, par ses encouragements continus, m’empêcha de m’engourdir » (Le Petit Parisien, 1922). Le sentiment est d’ailleurs partagé, si l’on en juge les apostrophes quasi paternelles (« mon gros chat », « mon gros loup ») qui préludent l'incitation à rompre avec une modestie exagérée, à critiquer en sachant « apprécier ce qu’on n’aime pas » et à ne pas se torturer à lui répondre en fin d’une rude journée.

Mais Fauré s’entretient aussi avec d’autres confrères (Albéniz, Bréville, Chabrier, Chausson, Delius, Dubois, Emmanuel, Gounod, Hahn, Halphen, d’Indy, Koechlin, Lalo, Loeffler, Marie, Messager, Pierné, Ravel, Roger-Ducasse, Samazeuilh, Vuillemin), des chanteurs (Bagès de Trigny, Beaunier, Bréval, Fuchs, Swinton, Viardot), instrumentistes (Choisnel, Cortot, Ćzapek, Long, Lortat, Mayer, Poulet, Risler, Serres, Taffanel, Ysaÿe), hommes de lettres (Calvocoressi, Colette, Flaubert, Fort, Haraucourt, Lorrain, Montesquiou, Samain, Verlaine), éditeurs, musicographes, directeurs et encore quelques autres, entre ami et mécène (Castelbon de Beauxhostes, Clerc, Greffulhe, Maillot, Polignac, Saint-Marceaux).

Par ce flux naturellement en évolution, on découvre un homme plutôt guindé qui doit approcher avec courtoisie certains acteurs de la vie musicale, ce qui rend la lecture renseignée mais lassante – avancé du travail, manque d’argent ou de temps, espoirs de reprises de sa Pénélope (1913) [lire notre chronique du 20 juin 2013]. Il intéresse plus en présence d’une femme mariée qui le trouble, avec laquelle pointe des confessions, ou lors de coups de gueules parfois drôles contre les aberrations de sa corporation, qui mettent en relief ses propres convictions. Notons que les lettres entièrement rageuses sont restées à l’état de brouillon, comme bridées par le savoir-vivre.

Si la première partie de l’ouvrage ouvre la porte à quelques réponses d’épistoliers, la seconde regroupe uniquement une sélection de deux cents missives envoyées par Fauré à Marguerite Hasselmans (1876-1947), sa maîtresse de 1901 à 1924, lesquelles sont restées longtemps inaccessibles dans une collection privée. Ici, on sent Fauré grimper à l’arbre en bras de chemise, alternant ton protecteur et rogne contre les soucis de santé, la contrainte de conversations obligées et de voyages ennuyeux. « Il me tarde, tarde, tarde mille fois de te revoir, de t’embrasser, de te caresser, de t’entendre rire ! écrit à son rimimi chéri l’adolescent de soixante-six ans (1912)… Nous ne sommes pas faits pour nous passer l’un de l’autre ! ».

LB