Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Saul | Saül

1 coffret 3 CD Archiv Produktion (2004)
474 510-2
Georg Friedrich Händel | Saul

Composé durant l'été 1738 et créé le 16 janvier 1739, Saul est le quatrième oratorio anglais de Händel, après Esther, Deborah et Athalia. Après avoir collaboré avec les librettistes Alexander Pope, John Arbuthnot et Samuel Humphrey, le musicien travaillait pour la première fois avec Charles Jennens qui signerait plus tard les textes de Belshazzar, de L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato (d'après Milton), et surtout du célèbre Messiah, avant que Händel lui préfère Thomas Morell pour ses derniers oratorios. L'enregistrement effectué par Paul McCreesh pour Archiv Produktion rétablit un accompagnato du Grand Prêtre qui compte parmi les nombreux numéros supprimés par l'auteur lui-même. On remarquera la présence d'instruments fort inhabituels dans l'orchestre du Saxon : le tubalcaïn – on trouvera ce nom comme celui d'un enfant (fils de Tsilla) de la neuvième génération d'Adam (voir Genèse IV, 22) qui « forgea tous les instruments d'airain et de fer » – ou carillon à clavier qui vient judicieusement illustrer la scène de folie de Saul ; ou encore la sacqueboute, alors quasiment inconnue en Angleterre. Händel convoque ici un instrumentarium particulier dans un souci d'authenticité musico-biblique.

C'est une version magnifiquement équilibrée qu'offrent ici McCreesh et ses Gabrieli Consort and Players. Ils abordent l'œuvre dans une dynamique intéressante, sans trop de pompe ni lourdeur. Dès la Sinfonia, on reconnaîtra la grande tendresse du Larghetto qui préserve une certaine majesté. De même Timothy Roberts offre-t-il une improvisation très fine à l'orgue. Le chœur How excellent thy name, O Lord s'enchaîne avec la même grâce, certes triomphant mais digne, et pose déjà quelque indice au drame futur ; le splendide The youth inspir'd by thee, O Lord est lumineux ! De même les choristes nous ravissent-ils par le très bel Hallelujah qui finit la première scène, une page qui devait au préalable fermer l'œuvre et dont Jennens a suggéré la place définitive au compositeur.

La distribution vocale est globalement bien choisie. Nancy Argenta est ici Michal : le timbre est élégant, la voix délicate, et possède des aigus évidents. Mark Padmore est un Jonathan très clair, discrètement précieux ; il assume des récitatifs magnifiquement articulés, et brille dans des airs comme No titles proud thy stem adorn, usant d'un chant toujours raffiné. Son accompagnato en fin d'Acte I est fort émouvant : le ténor semble nous y parler directement ; et l'air qui suit, No, cruel father, no !, est d'autant plus puissant qu'il exprime en douceur une désobéissance déterminée et sans colère. Susan Gritton donne une Merab délicieusement méchante, parfois jusqu'au surjeu, cependant, dont on regrettera l'ornementation trop appuyée qui rend incertaine la hauteur et grossit disgracieusement le timbre. À la fin du premier acte, sa voix arrive sans ces désagréments, tout à fait splendide, même si le personnage reste un brin hystérique. Elle s'adoucira au fil de l'œuvre, jusqu'à l'inattendue sweety song en fin d'Acte II, Author of peace. Le Saul de Neal Davies pourra paraître un peu affecté au début, mais le timbre se corse dès With rage ! à la scène 3, et gagne une expressivité évidente dans Ambitious boy. Le sommet du premier acte demeure sans conteste la troisième scène, la scène de la folie : le tubalcaïn intervient lors d'une élégante marche alternant exquisément avec les versets du chœur de jeunes filles, et le contraste obtenu entre la jalouse rage insensée de Saul et cette charmante joie enfantine est saisissant. Neal Davies trouvera sa mesure dans le troisième acte qui lui permet d'utiliser au mieux les propriétés de sa voix. Paul Agnew propose un Grand Prêtre efficace, dans un style irréprochable – il est aussi fort intéressant en sorcière (Acte III) ! Julian Clarkson donne un Doeg efficace, à la voix très bien placée et magistralement projetée. Le spectre de Samuel bénéficie de la vocalité très tenue, du phrasé noble et profond de Jonathan Lemalu.

Enfin, on ne peut qu'admirer la prestation de Andreas Scholl en David : la fraîcheur du timbre correspond bien au rôle, les vocalises sont magnifiquement évidentes – il n'est qu'à citer Your words, O King, my loyal heart au milieu de l'Acte II –, la ligne de chant bénéficie d'un grand calme qui confère tout au long de l'action une certaine noblesse au personnage. L'orchestration de ses airs demeure légère, si bien que le chanteur a tout loisir de chercher la nuance idéale sans se soucier d'autre chose que de l'intelligence du texte et de sa portée expressive. Toutefois, les souffles et soupirs répétés lors du récitatif avec Jonathan à la seconde scène du deuxième acte sont parfaitement inutiles, et en contradiction avec l'exécution splendide de l'air qui suit, Such haughty beauties rather move. On doit à Scholl l'un des moments les plus émouvants du dernier acte, O fatal day, lamentation sur la mort du doux ami Jonathan, « plus précieux que l'amour des femmes », avec le chœur.

BB