Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Agrippina | Agrippine

1 coffret 3 CD Dynamic (2004)
431/1-3
Georg Friedrich Händel | Agrippina

Considérée par les commentateurs les plus enthousiastes comme le meilleur opéra de Georg Friedrich Händel, par les moins excessifs comme sa meilleure œuvre italienne, Agrippina vient de connaître deux réalisations vues en France : celle de La Monnaie (Bruxelles) déjà jouée à Paris il y a trois ans et reprise cet automne au Théâtre des Champs-Élysées, celle de l'Atelier Lyrique de Tourcoing donnée en mars 2003, qui sera reprise lors de la saison 2004-2005. Le label italien Dynamic vient de faire paraître un live de cette production, regroupant une distribution intéressante pour une version pleine de relief.

La redoutable matrone romaine est ici Véronique Gens : c'est un vrai plaisir de pouvoir deviner la situation théâtrale et le jeu dans la moindre de ses interventions, avec des récitatifs toujours extrêmement articulés et expressifs, ou dans Se vuoi pace, son dernier air, où on lui donnerait le bon dieu sans confession ! Toutefois, dès l'aria L'alma mia fra le tempeste, on remarque des « a » très précautionneusement couverts qui sapent l'intelligibilité du texte et le brio du chant. Les vocalises, ici et là, sont à coup sûr superbes. Mais le timbre est parfois inégal, comme dans la Scène 18 du premier acte (avec Poppea). On constatera une tendance à un chant affecté et maniéré dans Non ho che cor che per amanti (Acte I), sarà devenant un soro embourgeoisé.

Ingrid Perruche est Poppea : on admirera l'agilité de sa voix et son timbre chaleureux, bien que la phrase, au début, soit un brin déconstruite et sans ligne. Fa quanto vuoi s'avère exquisément brillant. Par la suite, son chant se libère, et nous offre une plénitude bien plus intéressante. Ainsi Se giunge un dispetto beaucoup plus direct. À l'Acte III, dans Bel piacer, la soprano offre un numéro de voltige magnifiquement réalisé.

Le malheureux Ottone était confié à Thierry Grégoire : dès le récitatif de la Scène 11, on constatera à quel point Malgoire sait choisir la voix idéale pour tel rôle. Celle-ci est claire, présente, le chant est joliment articulé et sait se faire doux et suave, comme dans L'ultima del gioir meta gradita. L'une des plus célèbres pages de Händel nous vient de la partie de ce personnage : après le récitatif Otton, quai portentoso, ici très dramatique et même emporté, de l'Acte II, le contre-ténor aborde son aria Vuoi che udite il moi lamento avec une grande dignité, n'hésitant pas à produire des sons plutôt droits, dépourvus de vibrato belcantiste de mauvais goût, avec nuance et sensibilité. Bravo également pour Tacero de l'Acte III, d'une belle élégance.

Philippe Jaroussky propose un Nerone comiquement sale gosse d'un timbre qui a gagné en couleur et en moelleux, comme on le remarquera dès Qual piacere a un cor pietoso. S'il est encore sage à ce moment, on le retrouvera dans toute sa superbe à l'Acte III, pour Coll'ardor. Dans Come nubbe, il soigne minutieusement un chant précis et divinement musical.

La basse Bernard Deletré est un Pallante très projeté aux récitatifs particulièrement mordants, mais moins satisfaisant dans les arie où les aigus sont un peu lâchés dans la nature. Il est plus heureux dans Col raggio placido à l'Acte II, généreusement sonore. Le Narciso de Fabrice di Falco propose des phrases toujours bien menées, même si les ornements et les vocalises paraîtront lourds. Alain Buet est un excellent Lesbo, tandis que Nigel Smith déçoit en Claudio : les graves sont profonds, certes, le timbre est avantageusement corsé, mais un recours systématique à l'ostentation nuit au chant, comme dans Il tuo duolo non celar du premier acte, et de manière flagrante dans Cade il mondo soggiogato au second, dans lequel la voix en devient franchement disgracieuse.

Les ensembles sont en général bien équilibrés, tandis que Jean-Claude Malgoire à la tête deLa Grande Écurie et la Chambre du Roy fait évoluer sa lecture d'un calme relatif à un déchaînement passionnel dans lequel il semble beaucoup s'amuser. Il apporte le plus grand soin au lamento d'Ottone, et termine cette Agrippina dans un ironique climat de paix qui laisse le sourire. En conclusion, nous dirons que malgré les quelques réserves émises ça et là, cet enregistrement est globalement satisfaisant – il ne faut pas perdre de l'esprit qu'il s'agit d'un live.

BB