Chroniques

par laurent bergnach

Georg Friedrich Händel
Tamerlano | Tamerlan

1 coffret 3 CD Naïve (2014)
V 5373
Riccardo Minasi joue Tamerlano (1724), un opéra signé Händel

Gardien de troupeau turco-mongol né dans la première moitié du XIVe siècle, Timur-i-Leng (Timur le Boiteux) se retrouve à régner sur la Transoxiane et sa capitale Samarcande (assimilable à l’actuel Ouzbékistan). Son empire finit par s’étendre de Dehli à l’Anatolie, péninsule qu’il envahit en 1402, y défaisant Bayezid I à la bataille d'Ankara – sultan ottoman mieux connu sous le nom de Bajazet. Le point de vue des chroniqueurs diffère quant au traitement du prisonnier, tantôt considéré avec courtoisie, tantôt enfermé dans une cage ou humilié d’une façon quelconque.

Lorsqu’Händel décide d’explorer cet événement historique, le public anglais connaît déjà Tamerlane (1701), une pièce de Nicholas Rowe dans laquelle le conquérant figure en réalité Guillaume III d'Angleterre, monarque protestant vertueux, tandis que Louis XIV est ridiculisé sous les traits de l’instable Bajazet. Niccolò Francesco Haym lui écrit un livret à partir de celui qu’Agostino Piovene conçut pour Tamerlano (1711) de Francesco Gasparini, lui-même inspiré d’une tragédie française de Jacques Pradon datant de 1675. L’ouvrage est présenté le 31 octobre 1724, au King’s Theatre (Londres), et fait l’objet de douze représentations au cours de la saison. Mais Händel en revoit la structure quelques années plus tard (récitatifs abrégés, intensification du drame, etc.), pour une reprise unique, le 13 novembre 1731 – soit la version définitive retenue ici. Rappelons-en l’histoire développée en trois actes.

Fille du prisonnier Bajazet, Asteria a deux soupirants : le prince Grec Andronico, qui est aimé en retour, et Tamerlano, dont la fiancée Irene est dès lors abandonnée à son allié. Elle a également deux tourments puisqu’elle croit Andronico désireux de nouer des liens avec Irene, et son père condamné à mourir si elle n’accepte pas d’épouser leur geôlier commun. Asteria tente d’assassiner Tamerlano et rejoint son père en prison. Là, ce dernier partage une dose de poison qu’il prévoit d’utiliser si leur évasion échoue. Après une série d’humiliations et de chantages variés, Bajazet finit par se donner la mort. Consterné, Tamerlano voit sa colère retomber : il épousera Irene et offre à Andronico et Asteria le royaume de Byzance.

Si on peut le retrouver ici ou là, l’ouvrage semble pourtant rare en comparaison de sa distribution vocale restreinte à six chanteurs [lire notre critique du DVD]. Celle du jour convoque les contre-ténors Xavier Sabata (Tamerlano), tout en ampleur et rondeur, et riche en grave au besoin (III, 3) [lire notre chronique du 25 juillet 2014], ainsi que Max Emanuel Cenčić (Andronico), plus pointu et douloureux, mais tout aussi virtuose (II, 8) – tous deux déjà réunis dans Il Sant’Alessio (Landi) [lire notre critique du DVD]. John Mark Ainsley (Bajazet) s’avère un ténor souplement expressif, et Pavel Kudinov (Leone) une basse sonore mais un peu frustre. Agiles tous deux, le soprano Karina Gauvin (Asteria) offre une certaine onctuosité couplée à un zeste d’aigreur, tandis que Ruxandra Donose (Irene) est un mezzo-soprano parfois terne mais convaincant.

Enregistrés en avril 2013 à la Villa San Fermo (Lonigo, Italie), ces artistes répondent à la battue de Riccardo Minasi, de même que les musiciens de l’orchestre Il Pomo d’Oro (fondé en 2011) – lesquels comptent parmi les meilleurs dans l’interprétation sur instruments d’époque. La Sinfonia donne le ton de l’interprétation nuancée qui s’ensuit, alternant morgue mordante, allant mélancolique et tendre amabilité.

LB