Chroniques

par laurent bergnach

Georg Friedrich Händel
Orlando | Roland

1 coffret 2 CD Archiv Produktion (2014)
479 2199
René Jacobs joue Orlando (1733), opéra de Georg Friedrich Händel

Roland le preux (736-778), guerrier parmi les plus grands du royaume franc, meurt à la bataille de Roncevaux (778), victime de trahison. La littérature va s’emparer de la vie du chevalier pour en faire un personnage de légende européen au cœur de la Chanson de Roland (XIe siècle), Orlando innamorato (Boiardo, 1494), Orlando furioso (L'Arioste, 1516), etc. Mis à part les ouvrages satiriques – Morgante Maggiore (Pulci, 1479), notamment –, tous célèbrent les vertus chevaleresques de Roland, fort de corps et noble d’esprit à l’instar de l’antique Hercule, en s’intéressant aussi à sa vie intérieure, à mesure que les siècles passent. Le héros fait alors son entrée à l’opéra, comme en témoigne Orlando generoso d’Agostino Steffani (Hanovre, 1691 ; texte d’Ortension Mauro) et L’Orlando overo La gelosa pazzia de Domenico Scarlatti (Rome, 1711 ; texte de Carlo Sigismondo Capece).

C’est le livret de ce dernier qui inspire à Händel un « Orlando plein de contradictions » (dixit Reinhard Strohm, dans la notice du CD), opéra en trois actes destiné à une aristocratie qui, loin de croire devoir justifier son statut social, se place du côté de la morale, par nature supérieure au droit, mais où la prosaïque raison – au contraire de la fureur d’Orlando, perméable aux arrêts divins par sa noblesse, à l’inverse d’une roture pleine de bon sens qui ne saurait avoir accès à ces instances – se tient aux côtés d’une simple bergère, jamais à court de sagesses populaires, alors même que le chevalier perd facilement l’esprit.

L’ouvrage est créé avec succès au Haymarket (Londres), le 27 janvier 1733. Quatre personnages y évoluent autour du rôle-titre : le magicien Zoroastro, qui l’exhorte à choisir Mars plutôt que Vénus, la bergère Dorinda en pleine déception sentimentale, ainsi que la reine de Cathay Angelica et le prince africain Medoro, dérangés dans leur liaison secrète par l’entreprenant chevalier, bien forcé de comprendre que l’amour ne se commande pas.

Après les représentations du printemps 2012 à La Monnaie (Bruxelles) – Pierre Audi en assurait une mise en scène très applaudie –, les artistes se réunissent l’été suivant pour enregistrer l’œuvre au Concertgebouw de Bruges. Tenté par la tendresse plus que par la fièvre, René Jacobs mène d’une main alerte le B’Rock Orchestra Ghent. Les effets magiques de Zoroastro sont réalisés avec goût.

Voix charnue, agile et nuancée, Bejun Mehta (Orlando) séduit par une virtuosité exquise – il suffit d’écouter Cielo ! Se tu il consenti (Acte II, Scène 3) –, de même que le chant bien mené de Sophie Karthäuser (Angelica). Nous gardions d’elle l’excellent souvenir d’un Orlando vivaldien [lire notre critique du DVD] : faisant preuve de souplesse et de stabilité, Kristina Hammarström (Medoro) ne déçoit pas. Le cas de Sunhae Im (Dorinda) est, quant à lui, plus complexe ; dotée d’une grande technique et d’une fébrilité qui sied au personnage, le soprano s’avère parfois geignard et chevrotant. Enfin, de sa belle pâte vocale, Konstantin Wolff retrouve un rôle (Zoroastro) auquel il est habitué depuis nombre d’années [lire notre critique du DVD].

LB