Chroniques

par laurent bergnach

George Benjamin
Written on Skin – Duet

1 coffret 2 CD Nimbus Records (2013)
NI 5885/6
Written on Skin, opéra de Benjamin

Après Into the Little Hill, conte lyrique présenté au Festival d’Automne à Paris voilà quelques années [lire notre chronique du 22 novembre 2006], Written on skin marque une nouvelle étape dans la production vocale de George Benjamin (né en 1960). Commandé par plusieurs structures européennes – Royal Opera House Covent Garden (Londres), Nederlandse Opera (Amsterdam), Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, Théâtre du Capitole (Toulouse) et le Festival d’Aix-en-Provence où se déroule la création, le 7 juillet 2012 –, cet opéra en trois parties repose sur un livret du dramaturge Martin Crimp qui puise son sujet dans la culture occitane du Moyen Âge, époque des troubadours et des livres précieux « écrit sur la peau ». La légende de Guillem de Cabestany sert de base principale, sertie de quelques images empruntées au Cantique des cantiques et au Secretum Secretorum (une sorte d’encyclopédie très populaire évoquant pêle-mêle politique, médecine et magie).

Sous le regard de trois anges, les morts sont ranimés d’un claquement de doigt : Le Protecteur, homme calme et puissant « obsédé par la pureté et la violence », ainsi que son épouse illettrée, Agnès, mariée à lui à quatorze ans. Un des anges devient le troisième protagoniste, Le Garçon, un enlumineur de manuscrits accueilli chez le couple pour célébrer les bonnes actions du maître des lieux à travers des images de l’Enfer et du Paradis. Agnès, qui s’est offerte à l’invité, veut que son mari cesse de voir en elle une enfant : elle l’envoie vers Le Garçon pour qu’il lui révèle la vérité sur certaines rumeurs liées à une page secrète du livre en préparation. Le Garçon ment tout d’abord sur l’identité de son amante mais laisse derrière lui des preuves incontestables, au moment de son départ. Quand le commanditaire conçoit l’attachement profond que sa femme éprouve pour Le Garçon, il le pourchasse, l’assassine et donne son cœur à manger à l’amoureuse. Redevenu ange, la victime vient présenter une dernière image : Le Protecteur y saisit un couteau pour tuer Agnès, mais elle préfère se suicider en sautant du balcon.

« Il est primordial que les mots soient audibles à presque tout moment, explique le compositeur dans le programme de la création.Les chanteurs ne doivent pas avoir besoin d’hurler, il faut qu’ils puissent chanter doucement. Donc la norme, pour l’orchestre, c’est la retenue et la clarté. Et par voie de conséquence, les rares moments où cette norme s’interrompt provoquent un choc. Je me sers de l’orchestre comme d’un fond de couleur, à l’instar d’un enlumineur : il accompagne les voix en fournissant une base en constante métamorphose, comme un tissu de sons variés qui changent sans cesse de luminosité. »

Fin connaisseur de Wozzeck et de Pelléas, George Benjamin n’a pas composé dans l’abstraction mais avec la connaissance des chanteurs engagés, prenant « une vingtaine de pages de notes sur les spécificités de chaque voix, les régions de leur tessiture où ils se sentent bien ». Enregistré au Grand Théâtre de Provence, ce disque réunit le large baryton de Christopher Purves (Le Protecteur), le soprano Barbara Hannigan (Agnès), tôt installé dans l’angoisse, et le chant souple de Bejun Mehta, infaillible (Ange 1 / Le Garçon). Rebecca Jo Loeb (Ange 2 / Marie) et l’incisif Allan Clayton (Ange 3 / John) complètent la distribution.

Le thème de l’infidélité, de la jalousie et même du « cœur mangé » n’est pas nouveau en musique – L’Itinéraire Médiéval en donnait un aperçu [lire notre critique du CD] –, mais le livret l’évoque magnifiquement, avec une certaine distance et un suspens qui rappelle Luci mie traditrici [lire notre critique du DVD]. De même est-on séduit par un riche tissu orchestral où s’entendent parfois Varèse, Boulez, Britten et Birtwistle (dans la sauvagerie du crime, en particulier). En complément de programme, ce coffret propose les douze minutes de Duet où Benjamin, de nouveau à la tête du Mahler Chamber Orchestra, dialogue avec le pianiste Pierre-Laurent Aimard.

LB