Chroniques

par laurent bergnach

George Crumb
Makrokosmos (I – II)

1 CD L'Empreinte Digitale (2003)
ED 13165
George Crumb | Makrokosmos (I – II)

« Le titre et le format de mon Makrokosmos, explique George Crumb, reflètent mon admiration pour deux grands compositeurs du XXe siècle – Béla Bartók et Claude Debussy. J'ai pensé, évidemment, au Mikrokosmos de Bartók et aux 24 Préludes de Debussy. Toutefois, ce ne sont que des associations purement externes, et je suppose que l'impulsion spirituelle de ma musique est plus apparentée au côté plus sombre de Chopin, ou même à l'imagination enfantine du jeune Schumann ».

Comme l'indique sa référence aux miniatures pianistiques de Bartók et son sous-titre « fantaisy pieces after the Zodiac », Makrokosmos se propose d’évoquer l'Univers et son reflet dans l'Homme. Si le Zodiaque sert de base, c'est moins pour des implications divinatoires et prophétiques que pour sa structure cyclique qui, par un éternel recommencement, interdit au temps d'avoir une fin (cf. la pièce n°8 qu'on traduira par Le Cercle magique de l'Infini). Chaque signe donne lieu à une ouverture, à une association avec des moments de la liturgie chrétienne (Crucifixus, Agnus Dei), des religions ancestrales (Ghost-Nocturne : for the Druids of Stonehenge), des moments de la journée et du cycle des saisons (Spring Fire, Morning Music) ou encore, plus largement, avec des notions d'astronomie (Cosmic Wind, Spiral Galaxy) ou de cosmogonie (Twin Suns, The Abyss of Time), etc. C'est une longue traversée des Âges en musique, de l'Atlantide à l'Apocalypse !

Chacun des deux volumes composés voilà trente ans, en 1972 (volume I) et en 1973 (volume II), comporte quatre fois trois parties, la dernière pièce de chaque partie étant sous-titrée symbol. On le sait sans doute, à l'origine, le symbole était un objet coupé en deux qui servait de signe de reconnaissance entre ses deux possesseurs. La réunion, voire la réconciliation semble donc au cœur de cette partition – sans nous étonner d’ailleurs, puisqu’on connaît l'attachement de Crumb à la nature, par exemple, sensible dans Echoes of Time and the River (1967), qui reflète l'influence qu'a eu sur lui l'écoute de l'acoustique particulière des vallées Appalaches.

Ici, le pianiste fait corps avec l'instrument d'une façon inhabituelle. Outre que le piano est préparé et amplifié, il participe physiquement à la production sonore, non seulement en caressant, frottant, grattant les cordes mais aussi en sifflant, grognant, psalmodiant... On retrouve le goût du compositeur pour les interventions de ses interprètes, que ce soit ceux du quatuor à cordes Black Angels (1970) ou du trio Vox balaenae (1971). Cette part d'improvisation, dans ce qu'on a coutume d'appeler un rituel païen, contribue à faire passer l'auditeur du disque de l'intention pédagogique de Bartók au poétique et au dramaturgique de l'œuvre de Crumb.

C'est le pianiste turc Toros Can qui nous régale de cette heure de surprises et d'émotion. Après avoir enregistré Ligeti et Hindemith, c'est avec le même talent que cet interprète curieux continue de se mesurer aux partitions de notre temps. Il a donné Makrokosmos fort brillamment cet été à la Roque d'Anthéron.

LB