Chroniques

par bertrand bolognesi

Giacinto Scelsi
œuvres avec chœur

1 coffret 3 CD Accord (2003)
47 1072
Giacinto Scelsi | œuvres avec chœur

Les partitions de Giacinto Scelsi (1905-1988) furent, pour la plupart, jouées bien après leur achèvement, et certaines attendirent jusqu'à vingt-cinq ans avant d'être créées. Une vie de discrétion entretenant un certain mystère, une sorte d'effacement volontaire pour mieux laisser l'art s’exprimer seul, une attitude peut-être inspirée par une discipline spirituelle personnelle, une indépendance déconcertante par rapport aux grands courants de la musique de son temps ont éloigné Scelsi de la scène. Lui-même ne se disait pas compositeur, préférant au terme l'idée d'être un lieu de passage à des signes sonores élevés, d'où l'importance du son dans sa pensée musicale, au point que parfois l'architecture d'une pièce se construise dans l'approfondissement d'une seule note. Inclassable, sa production préfigure parfois les spectraux, annonce celle de Nono par certains traits, sans concéder au sérialisme. Les voyages de Scelsi ont déterminé en partie son style, et imprégné son inspiration. À la fin des années soixante-dix, les spectraux commenceront à s'intéresser à son travail, et presque simultanément on rencontrera quelques partitions au sein des programmes allemands. En 1982, Darmstadt le révèlera, et durant les six dernières années qui devaient lui rester à vivre, le musicien vit enfin son œuvre jouée de plus en plus, et la plupart du temps par des artistes d'une grande compétence. On doit à Giulio Castagnoli de fort beaux articles présentant son œuvre, et à Harry Halbreich une notice très fouillée qui accompagne judicieusement les trois disques de ce coffret.

Enregistrés par l'Orchestre de la Radio-Télévision Polonaise et le Chœur de la Philharmonie de Cracovie placés sous la direction de Jürg Wyttenbach entre 1988 et 1990, ces disques sont parus séparément chez Accord il y a une bonne dizaine d'années, et font aujourd'hui l'objet d'une réédition en coffret, dans la collection économique du label. Ils regroupent une intégrale de l'œuvre pour chœur et orchestre de Scelsi. Par ordre chronologique, on pourra y écouter Quattro pezzi (1959), Hurqualia écrite en 1960 et créée en 1986, dont le sous-titre est Un royaume différent. À un commencement plutôt retenu succède une danse endiablée d'une stupéfiante violence, où les percussions utilisées sans baguette éloignent de la musique savante et rendent plus proche le caractère quasiment tribal du rite. Le troisième mouvement atteint à l'élégie méditative, les trilles des bois invitant à ouvrir la tête, tandis que le dernier fonctionne comme une musique de retour. Suivront Aion (1961), quatre épisodes de la vie de Brahma (1986), Hymnos et Chukrum, tous deux de 1963, Anahit (1965) – nom égyptien de Vénus –, sans doute la plus jouée aujourd'hui, Uaxuctum, ou La légende de la cité Maya détruite par eux-mêmes pour des raisons religieuses, d'une très grande complexité qui en rend l'exécution particulièrement périlleuse, Konx-Om-Pax (1969), soit Paix en vieil assyrien, en sanskrit et en latin, et enfin Pfhat écrit en 1974 et créé quinze ans plus tard. Cette publication reformatée permettra d'aborder avec pertinence l'œuvre de Scelsi, et invitera à en approfondir l'appréhension, nous l'espérons.

BB