Chroniques

par laurent bergnach

Giovanni Battista Pergolesi
La Salustia

2 DVD Arthaus Musik (2013)
101 651
Giovanni Battista Pergolesi | La Salustia

À Rome, au IIIe siècle après Jésus Christ, la malheureuse Salustia, épouse de l’empereur Alessandro (Sévère Alexandre), subit les calomnies sournoises de sa belle-mère Giulia, jalouse de la dignité que lui confère ce rang, jusqu’au jour de la répudiation. Le père de la jeune femme, Marziano, apparaît à la fin du premier acte, afin de punir définitivement la tourmenteuse. Informée de la conspiration, Salustia sauve la vie de son ennemie sans lui révéler l’identité de l’auteur de l’attentat. Elle s’échine ensuite à reconquérir la confiance de son mari, tandis que se dénoue une intrigue secondaire autour de Claudio, un officier complice de Marziano, et de son amante Albina.

À peine terminées ses études au Conservatoire des Poveri di Gesù Cristo – la plus récente des quatre institutions musicales historiques de Naples, fondée en 1589, sur les pas de Sant'Onofrio a Capuana (1578) et de la Pietà dei Turchini (1583) –, Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) reçoit commande de son premier opera seria pour le Teatro di San Bartolomeo. Pour y répondre, un librettiste anonyme – on suppose qu’il s’agit de Gennaro Antonio Federico, qu’on retrouvera plus tard à l’affiche de Lo frate 'nnamorato et de La serva padrone – adapte un ancien livret d’Apostolo Zeno, Alessandro Severo, et le compositeur offre le premier rôle masculin au créateur du rôle-titre de Rinaldo [lire notre critique du DVD], vingt ans plus tôt : le castrat Nicolò Grimaldi. Mais celui-ci décède le 1er janvier 1732, peu avant la première. Devant la difficulté de remplacer en quelques jours un chanteur de cette envergure, on engage un jeune castrat pour tenir le rôle de Claudio que le ténor associé délaisse pour reprendre celui du défunt.

On possède donc deux versions de l’ouvrage. La première revoit le jour depuis peu, comme en 2008, sous la baguette d’Antonio Florio, mais c’est la seconde qu’Arthaus enregistre au Teatro Pergolesi (Jesi), en septembre 2011. Hélas, on a confié cette production à Juliette Deschamps ! L’adolescente qui « découvrait » le métier à l’Opéra national de Paris, auprès de Werner Herzog, a bien grandi ; mais qu’en est-il de sa maturité ? Dans un décor unique – qui rappelle une Felsenreitschule dont rêve plus d’un metteur en scène… –, Deschamps ressace des clichés théâtraux (habillage durant l’Ouverture, nom du rôle-titre écrit-effacé-réécrit sur le mur, lustre au sol, etc.), avec une vulgarité qui ne fait pas confiance à la musique (pluie de désolation durant un lamento, vocalise liée à un contact bucco-génital, etc.). On comprend à peine l’intrigue, et encore moins que pareille usurpatrice continue d’être engagée après ses spectacles aux platitudes notoires, comme son récent Weill, par exemple [lire notre chronique du 14 septembre 2009].

Abandonnés à eux-mêmes, six chanteurs doivent puiser dans leur propre métier et leur nature pour animer un spectacle moribond. Serena Malfi (Salustia) possède du corps mais manque cruellement de nuances. Maria Hinojosa Montenegro (Claudio) livre un chant évident, tandis que celui de Giacinta Nicotra (Albina) s’avère assez inégal (attaques heurtées, faussetés). Laura Polverelli (Giulia) domine sans peine la distribution féminine, par un chant ample et une présence expressive. Entendus respectivement dans Rameau [lire notre chronique du 4 mai 2012] et Händel [lire notre chronique du 24 février 2012] ces derniers mois, Vittorio Prato (Marziano) révèle un baryton fiable et Florin Cezar Ouatu (Alessandro), contreténor agile aux vocalises soignées, défend avec pertinence le style « tremblé » rococo. En fosse, Corrado Rovaris et l’Accademia Barocca de I Virtuosi Italiani portent la musique conventionnelle mais pas indigente d’un compositeur auquel le label allemand rend plusieurs fois hommage cette année.

LB