Chroniques

par anne bluet

Giovanni Paisiello
Sinfonia d'Opera : Allegro vivace – Concerto pour piano n°2 – Ouverture de Proserpine – Concerto pour piano n°4

1 CD Naxos (2004)
8.557031
Giovanni Paisiello | concerti pour piano n°2 – n°4 – etc.

Le Tarentais Giovanni Paisiello connut son heure de gloire en son temps. À ses débuts compositeur de musique sacrée, il fera créer son tout premier ouvrage d'opéra à Bologne, à l'âge de vingt-quatre ans. Cet élève de Durante voyagera de cour en cour, suivant l'ascension d'une belle carrière mondaine qui le mènera à Vienne, Naples, Paris et Saint-Pétersbourg, entre autre. Il est déjà l'auteur d'une dizaine ouvrages lyriques, tant seria que bufa, lorsque la tsarine Catherine le nomme à la fois maître de chapelle et successeur de Traetta à la direction du Théâtre Italien de la capitale impériale russe, en 1775. Pendant les dix ans qu'il passe en Russie, Paisiello donnera le meilleur de sa production, prenant appui sur des livrets de Métastase, Petrosellini ou Calzabigi, dont certains adaptent Goldoni. C'est de cette période que date son célèbre Barbiere di Siviglia, ingénieux arrangement du Mariage de Figaro de Beaumarchais – que nous vous présentions il y a quelques semaines [lire notre critique du CD]. Lorsque Napoléon lui offre la responsabilité de la musique aux Tuileries, en 1803, il explorera le livret que Quinault avait écrit pour la Proserpine de Lully plus de cent vingt ans auparavant – un ouvrage récemment enregistré par Dynamic [lire notre critique du CD]. Son opportunisme célèbre saura attirer les grâces du Premier Consul, lui valant des commandes françaises (pour lesquelles il écrira en français, s'il vous plait !), et l'occupation de postes en vue à Naples, sur ordre de Murat. Et c'est précisément ce succès et cette protection qui précipiteront sa chute au retour des Bourbons.

Excellent orchestrateur, tourné avec génie vers Haydn et Gluck sans le moindre antagonisme, Paisiello composera huit concerti pour clavier et orchestre, qu'il prendra plaisir à interpréter lui-même. Nous écrivons pour clavier car il semble qu'il les jouait indifféremment sur clavecin et pianoforte. La facture en est plutôt brillante, et ne se perd jamais dans des tergiversations formelles ou des méditations disproportionnées. En cela, ces pages n'ont guère à voir avec celles de Mozart qu'on trouvera lourdement rêveuses. L'expérience de la scène donne un certain ton aux concerti que l'on entend sur ce disque, une introspection discrète habite les mouvements lents, tandis que l'Allegro du Concerto en sol majeur n°4 annonce assez évidemment Beethoven.

Fondé en 1995 dans le but de se faire avant tout l'ambassadeur de la musique contemporaine, le Collegium Philharmonicum Chamber Orchestra réunit des instrumentistes de l'Orchestre du Teatro San Carlo de Naples. En quelques années, tout en défendant son répertoire de prédilection, il s'est parallèlement spécialisé dans l'interprétation des œuvres napolitaines du XVIIIe siècle. Il offre ici une lecture avantageusement articulée des concerti, ainsi que de l'ouverture de Proserpine, sous la direction du violoniste Gennaro Cappabianca. Lauréat du Concours de Santander il y a une vingtaine d'années, le pianiste Francesco Nicolosi est bien sûr présent sur la scène musicale italienne, mais, bien qu'on le connaisse encore peu chez nous, également dans les salles de concerts d'Europe du nord et de Suisse. Son interprétation des concerti de Paisiello se nourrit d'une grande tradition pianistique classique, privilégiant la finesse de l'articulation et de l'ornement, sans surcontraster jamais les nuances, avec une sonorité claire, parfois un rien détachée, jamais sèche, qui n'a que très rarement recours aux pédales. Dans le Concerto n°4, il distille un Largo étonnant, assez contraire aux autres mouvements de Paisiello, dans une couleur presque schubertienne. Si le puriste pourrait juger ce choix anachronique, sans conteste trop romantique, nous ne cacherons pas y trouver grand intérêt, et croyons pouvoir bon d'affirmer que cet artiste se montre largement de taille à transcender cette audace. C'est indéniablement du très beau travail, à la fois sensible, intelligent et diablement musical.

AB