Chroniques

par nicolas munck

Giovanni Verrando
œuvres variées

1 CD æon (2013)
AECD 1328

Sur la platine, posons aujourd’hui l’album Dulle Griet de Giovanni Verrando, récemment paru chez æon. Né en 1965, ce compositeur italien concentre l’ensemble de ses recherches sur les propriétés inharmoniques du spectre, le bruit. Plongeons donc dans les « micro-propriétés » du son (pour reprendre la terminologie du musicologue Pierre Michel) dans un environnement électrique, bruitiste, « noiseux », amplifié et saturé.

Bien que reconnu comme une figure incontournable de la musique d’aujourd’hui, force est de constater que Giovanni Verrando demeure peu connu sur le sol français. Ce phénomène est d’autant plus étrange qu’après avoir étudié la composition au conservatoire de Milan puis à l’Académie Chiagina de Sienne (auprès de Franco Donatoni), le compositeur a fréquenté les couloirs de l’Ircam et les séminaires de Tristan Murail. Il reçut de nombreuses commandes de l’Ircam et de l’Ensemble Intercontemporain, ainsi que du ministère de la culture ; sa musique est régulièrement donnée en France – Centre Pompidou, festivals Musica et Manca [lire notre chronique du 10 novembre 2007] l’Opéra Bastille, Royaumont). Le mystère reste donc entier.

Déjà régulièrement portée au disque dans des ouvrages collectifs, la musique d’orchestre du compositeur a par ailleurs fait l’objet d’une parution monographique en 2008 (Stradivarius). Pierre-André Valade en assurait déjà la direction. Décliné dans un groupement de six pièces (composées entre 2002 et 2010), ce nouveau projet discographique s’inscrit pleinement dans les activités musicales du Mdi Ensemble (créé en 2002 à Milan) et du RepertorioZero (association regroupant compositeur, interprètes, RIM, scénographe et ensemble jouant sur instruments électriques et amplifiés). Cofondateur de ce collectif, Giovanni Verrando y développe une recherche spécifique sur les nouvelles lutheries et l’orchestration. Cet album se fait le témoin de ces problématiques esthétiques, tout en présentant la « période harmonique » du compositeur.

Cette proposition musicale, ouverte par Dulle Griet pour ensemble amplifié (2009-2010), propulse immédiatement l’écoute dans un son noisy très électrique et bruitiste. Quasi méconnaissables, flûte basse, clarinette basse si b, clavier, percussion, violon et violoncelle se meuvent dans un espace amplifié par le microphone et souvent dé-tempéré. Passant du plissement d’oreille à la saturation, la pièce invite à une réjouissante expérience, permise par une prise de son irréprochable. Saluons d’emblée le travail rigoureux d’enregistrement, de montage et de mixage. Dans ce type de répertoire, la moindre approximation pouvant être fatale nous ne soulignerons jamais assez à quel point l’enregistrement fait partie intégrante de l’« acte compositionnel ». Afin de bénéficier au maximum de l’exploration de « micro-propriétés » du son, nous recommandons une écoute au casque ou dans un dispositif de diffusion satisfaisant.

Dans une veine sonore comparable, nous retrouvons les trois Born Unicorn, remind me what we’re fighting for. Pour flûte amplifiée, la première pièce du cycle (2001) propose un passionnant travail de mise en relation entre son instrumental et voix dans une diffusion quadriphonique avec réverbération. L’exploitation des phénomènes de résonnance (sous l’angle harmonique) est également au cœur du second volet (2002), conçu pour piano préparé. Généré à partir d’un spectre tempéré de cloche, l’ensemble du matériau harmonique, mélodique et intervallaire de cette pièce se développe dans une écriture véloce et savamment agencée. Enfin, seule pièce mixte de ce programme, au sens strict du terme, la troisième, pour violon électrique et électronique (2009) se joue de notre perception et de nos tentatives d’identification. Dans un son instrumental, lui même électrique et usant de distorsion, difficile de distinguer les sources sonores et les principes d’interaction avec le dispositif électronique. L’ambiguïté fait l’œuvre et rend passionnant le travail sur la lutherie électrique.

Tout aussi représentatif de ce travail, Triptych #2 pour ensemble électrique (2008), interprété par RepertorioZero,tend plus encore vers le bruit et l’« inharmonicité ». Guitare électrique, clavier avec sampler, percussion et violons, alto et violoncelle électriques se fondent imperceptiblement dans un discours micro-tonal et bruitiste où la perception en terme de hauteurs n’a plus de raison d’être. S’agit-il d’une forme d’aboutissement de la « révolution électrique » annoncée par Hugues Dufourt ?

Soucieuse de présenter une trajectoire esthétique de 2002 à 2010, cette parution discographique donne également à entendre le Quartetto n°3 (2003) ; bien que marqué par l’effectif et renvoyant à la « période harmonique » du compositeur (dixit Pierre Michel), il répond à l’attention particulière au phénomène sonore qui irrigue l’ensemble de sa production (exploration de l’infime, multiplication de modes de jeu, ambiguïté entre son et bruit). C’est donc bien le changement de lutherie et ses recherches associées qui font basculer le langage vers une in-harmonicité plus systématique. Ce disque rend parfaitement compte de cette mutation chez le compositeur.

Comme toujours, æon met à disposition un objet soigné, très documenté et permettant d’aborder au mieux les différents aspects de la musique de Verrando. Pour en mesurer toute l’étendue et les degrés de complexité, une seule écoute n’est pas toujours suffisante. Donnons donc à ce CD le temps nécessaire et écoutons-le dans de bonnes conditions. En un tel contexte, l’expérience est captivante : il y a là un « compositeur-chercheur » à découvrir (ou redécouvrir).

NM