Chroniques

par jacques hétu

Giuseppe Verdi
Falstaff

1 DVD TDK (2007)
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Giuseppe Verdi | Falstaff

Un séducteur d'un certain âge, véritable Géronte égrillard, pas cacochyme pour un penny, vit à l'auberge de la Jarretière. Honni soit qui mal y pense !, empressons-nous de dire. Car l'œuvre, écrite d'une main très sûre, affronta les feux de la rampe en 1893, pour souligner, en quelque sorte, les quatre-vingts ans de Verdi et sa dernière aventure lyrique. Partition joyeuse, pétillante, unique en son genre, Falstaff démontre par tous ses aspects un personnage fort attachant, plus pathétique que drôle. Aiguisé par l'appétit de ses propres désirs et le souci de renflouer sa caisse vide – les tentatives désopilantes du héros pour séduire, tour à tour, deux femmes de riches commerçants, s'avèrent désastreuses –, sa contrition finale sera proportionnelle à son tour de taille. Ce ne sont pas les eaux glacées de la Tamise qui refroidiront le cœur de Falstaff, ni son ardeur de conquête sise à l'aune de la vengeance des femmes. Morale de l'histoire : l'esprit de Falstaff a éveillé l'esprit des autres. C'est davantage le génie musical de Verdi qui retient l'attention, dans cet ultime chef-d'œuvre, associé à l'esprit toujours en éveil et à la plume alerte de Boito, alors au faîte de sa renommée.

Filmé au Teatro Comunale de Florence (mai 2006), Ruggero Raimondi est un Falstaff exaltant, parfois tonitruant. La voix, jamais sèche, n'a pas pris une ride, et si l'on perçoit quelques signes de fatigue, n'est-ce pas plutôt le personnage haletant aux formes arrondies qui a épuisé toutes ses réserves de souffle devant ses désirs trop grands à combler ? Par la bouffe et par le vin, source du gai savoir, qui est aussi la vis comica de la pièce. Falstaff, c'est l'apologie du ventre plein, de la panse qui baigne dans le vin, des désirs qui ne demandent qu'à être assouvis. Ici le ridicule ne tue pas, il est vrai.

Malgré l'arrivée inopinée de punks à la scène finale, la mise en scène de Luca Ronconi est une transposition habile dans un Londres imaginaire et hors-temps, et par la conception des costumes au design plus italien que british. Retenons surtout la scène du rendez-vous chez Mrs Alice Ford, d'une inspiration contenue par le cœur battant d'un Falstaff moins débonnaire que de coutume, protagoniste qui prend tout son poids au fil des scènes et acquiert ainsi une dimension psychologique qu'on ne lui permettait pas. Ruggero Raimondi domine par son sens aigu du théâtre, l'excellente Barbara Frittoli en Mrs Alice Ford étant la plus attachante de toutes les joyeuses commères de Windsor. Manuel Lanza dans le rôle du mari jaloux est vif et incisif. Le reste de la distribution est fort homogène.

Plus contrôlée que vraiment inspirée, la direction de Zubin Mehta est avare d'excès, quelque peu glaciale. Sans jamais être routinière, elle manque singulièrement de dynamisme. On pourrait lui reprocher de ne laisser aucune place à l'imaginaire. Mais c'est un Falstaff qui s'écoute agréablement, avant tout pour la corpulence d'un Raimondi rougi sous le fard et les beaux yeux de Barbara Frittoli.

JH