Chroniques

par christian colombeau

Giuseppe Verdi
La traviata | La dévoyée

1 coffret 2 CD Deutsche Grammophon (2006)
477 5933
Giuseppe Verdi | La traviata

Précédé d'un battage publicitaire sans précédent dans l'histoire du disque – avec un matraquage propre en ordre sur certaines radios dites classiques –, cet enregistrement reste avant tout un tour de force technique pour les ingénieurs de la firme discographique hambourgeoise. Captée en août dernier au Festival de Salzbourg, voici donc une Traviata de plus dans les bacs de votre disquaire préféré. Le spectacle, nous annonce le livret, a pulvérisé le record des réservations avec standing ovation obligée chaque soir pour le couple vedette du moment Netrebko/Villazón, le vétéran Hampson apportant quant à lui sa touch of class inévitable. Un DVD est annoncé pour bientôt… tant il est vrai que la modernité et l'acuité de la mise en scène de Willy Decker a rallié tous les suffrages. Privés donc des images (sur le booklet, la diva montre fièrement ses belles gambettes et son physique de star hollywoodienne en ravira plus d'un), nous n'avons pour l'instant que le son.

Encore une fois, ces deux disques sont impitoyables. Pas pour les Wiener Philarmoniker, simplement somptueux. Quelle pâte, quel engagement ! Remplaçant Marcello Viotti, Carlo Rizzi dirige ce grand mélodrame romantique verdien avec une rigueur et une rutilance rares – quitte même à mettre en danger son plateau, nous sommes au théâtre et non pas en studio. Une course à l'amour sacrifié cohérente dans sa précipitation, avec mise à mort programmée de l'héroïne dans des scènes ultimes déchirantes et déchirées au pathos irrésistible.

Thomas Hampson ne fait qu'une bouchée du Père Germont, rôle ô combien conventionnel – on devine au mieux toutefois dans ses intonations pleines de dignité, un comportement entièrement dédaigneux avec la courtisane et un paternalisme éclatant avec son fils –, d'une voix un rien usée, pas toujours très belle. L'Américain nous invente en plus sans vergogne ça et là un fort drôle sprechgesang verdien ! Reste le couple glamour : il va irriter ou enthousiasmer. Rolando Villazón ne nous avait guère convaincu à Orange, voici peu. Mais, en deux ans, une voix change et la sienne est ici vibrante et généreuse. On croit par moment entendre les plus illustres ténors ibériques de l'après-guerre. C'est drôle, sympathique et énervant, car voici au dernier acte un Alfredo exsangue, aux traits tirés… après un premier acte vériste à l'extrême et les suivants certes plus soignés (la franchise de la cabalette laisse pantois) mais toujours chantés sur les ergots.

La Netrebko dans tout cela ? Enfin une Violetta rendue à sa vérité scénique première, on l'a dit… Le soprano russe, nouvelle coqueluche de la firme à clochettes jaunes, est toutefois loin de reléguer aux oubliettes ses plus illustres consœurs. Elle joue ici devant presse et public internationaux – après quelques ratés – son va-tout professionnel, s'engage corps et voix dans ce rôle suicidaire, affronte son sacrifice comme une rédemption, meurt enfin comme une Marie Madeleine du Seizième en pleine Assomption. Vocalement ? Certes, les vocalises rapides nagent entre gris clair et gris foncé (après un Brindisi mortifère, lemi bémol passe à la trappe purement et simplement), les changements de registres ne sont pas très heureux, mais l'émotion s'installe parfois avec ces graves légèrement rauques, cette fragilité touchante, ce sweep scénique évident, cette sensualité fabriquée dans un confortable à-peu-près musical et vocal agaçant. Merci aussi à Verdi ! De la voix, cette artiste en a, mais a-t-elle bien celle du rôle ? Quelques rires forcés ou cris incongrus, un pathos de Grand Guignol ne font tout de même pas une Violetta de référence. Et si on laissait aux deux tourtereaux le temps d'approfondir encore plus partition et personnage ?

En conclusion, malgré de belles fusées orchestrales : une Traviata de braise artificielle enveloppée dans du papier glacé de supermarché, reflet d'une époque et de son système. Tout naturellement, pour une certaine idée du chant verdien, on reviendra à Caballé ou, mieux, à la première version Sutherland (ébouriffante, probe, et complète). Le cœur a ses raisons que la raison n'a pas…

CC