Chroniques

par michel slama

Giuseppe Verdi
Aida | Aïda

1 DVD Bel Air Classiques (2014)
BAC 104
Omer Meir Wellber joue Aida, l'opéra de Giuseppe Verdi

Pour commémorer le centenaire du Festival Lirico Areniano de Vérone, quoi de plus naturel que de programmer Aida, surtout en cette année 2013 qui fêtait également les deux cents ans de la naissance de Giuseppe Verdi ? Très populaire, cet opéra se prête parfaitement à des mises en scène spectaculaires et peut faire les délices d’une audience de touristes de passage. Et c’est bien cette carte Cirque du Soleil que joue La Fura dels Baus. De cette compagnie catalane créée avec le retour de la démocratie en Espagne (1979), on retrouve ici les provocations et délires qui lui sont propres – rappelons-nous Les Troyens (Berlioz) à Barcelone et Die Zauberflöte (Mozart) à Paris [lire notre chronique du 19 novembre 2008], par exemple, voire Œdipe (Enescu) à Bruxelles [lire notre chronique du 4 novembre 2012]…

Pour Bel Air, Andy Sommer restitue une image HD et un son de belle facture, truffée de prises de vues aériennes et de gros plans façon Met’, sur la ribambelle d’effets de régie. On ne manque rien des sempiternelles déambulations des figurants désœuvrés tout en haut des arènes, à peine visible des spectateurs, ni des projections et batteries de lumière.

L’unique décor est constitué de deux grues gigantesques et de carton-pâte couvrant la partie des gradins sans public. Les symboles ésotériques qui brûlent sur des lances, de même que les jolies boules de lumière et d’ombres chinoises sont sans rapport direct avec l’intrigue, mais permettent d’occuper le péplum véronais, tout comme les ballets, plutôt gymniques et lascifs, qui parsèment l’œuvre. La scène du triomphe est caractéristique du collectif artistique catalan : point de chevaux ni d’éléphants en chair et en os, mais des chameaux et un pachyderme articulés, stylisés à l’extrême. Des chars électriques de Ben Hur ponctuent un interminable défilé désordonné d’enfants, de peuplades primitives, soldats, esclaves, policiers aux vêtures hétéroclites, pénitents beiges et rouges, où sont mêlés les temps et les générations. On assiste même à une collecte de déchets (humains), supposés radioactifs, dans un univers antique mâtiné de Star Wars.

Couleurs chamarrées et textures improbables de plastique et de métal, les costumes des protagonistes sont plutôt laids et bigarrés, fusion de l’Égypte ancienne et d’un imaginaire « spatiotemporel ». La palme de la laideur va à Amonasro, mamamouchi du futur à la barbe fleurie ; celle du ridicule au messager-cosmonaute du premier acte. Mille détails semblent ravir un public naturellement acquis, comme ces femmes-papyrus qui s’agitent frénétiquement à l’Acte III, succédant à leurs congénères masculins du triomphe, au II. Avec l’acte du Nil, l’eau envahit la grande scène des Arènes. Ramfis et Amneris voguent sur un navire plein d’esclaves sexys, pendant qu’Aida patauge pour son grand air Qui Radames verrà, rejointe par son père et son malheureux amant, accompagnés de crocodiles inoffensifs – heureusement ! Tout ce beau monde cohabite sans trop de difficultés dans un marais improvisé. Pour la scène finale, la tombe se fait igloo design en prisme déstructuré que surplombe Amneris, alors que des figurants juchés tout en haut des arènes agitent une nouvelle fois les boules de lumières du début de représentation, un millier de lunes qui enchantent l’agonie de nos héros.

Côté musique, la surprise est plutôt bonne.
L’Aida de la Chinoise Hui He est proprement exceptionnelle. Elle possède la tessiture meurtrière du rôle et sait accompagner les passages élégiaques par des sons filés qui rappellent ceux de Montserrat Caballé à son zénith. Très bonne actrice, on croit à fond à son incarnation. Hui He a débuté comme mezzo-soprano en Dorabella, mais s’est vite emparé des grands sopranos verdiens et pucciniens. Le choix de Giovanna Casolla pour Amneris est problématique. Choisir une chanteuse quasi septuagénaire, avec une voix usée jusqu’à la corde (par trop de Turandot) pour rivaliser avec la flamboyante princesse est un pari risqué. Affligée d’un fort vibrato du début jusqu’à la fin, de notes criées, enfin surjouant ses interventions, elle est disqualifiée.

Bien qu’un peu balourd, Fabio Sartori chante très correctement Radames. Tout juste lui reprochera-t-on d’abuser d’aigus pleurnichards qui n’apportent rien à son incarnation. Loin des pitreries de son Falstaff fétiche, vu ici et là [lire nos chroniques du 30 juin 2014 et du 2 mars 2013], Ambrogio Maestri compose un Amonasro austère et impitoyable à la voix assurée. Les seconds rôles sont excellents. Le Ramfis du Roumain Adrian Sâmpetrean, aux allures d’Yul Brynner, comme le Roi de l’Italien Roberto Tagliavini, ont l’autorité et la prestance vocale nécessaires à ces rôles.

Au pupitre, le jeune chef israélien Omer Meir Wellber est attentif et énergique [lire notre chronique du 15 novembre 2014], même s’il n’évite pas les lourdeurs d’un orchestre routinier. Mais pourquoi avoir choisi d’attirer l’attention des caméras sous le frac noir par ces chaussures noir-et-blanc à la Kleinzach !

MS