Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Nabucco | Nabuchodonosor

1 DVD Sony Classical (2015)
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Nicola Luisotti joue Nabucco (1842), l'opéra de Giuseppe Verdi

Moins d’un an avant I Lombardi [lire notre critique du DVD], les quatre parties de Nabucco voient le jour le 9 mars 1842, à La Scala, dans un contexte assurément difficile. En effet, dans une Italie morcelée et sous emprise autrichienne – la ville d’Arcimboldo va d’ailleurs appartenir au royaume de Lombardie-Vénétie, pour une bonne partie du XIXe siècle –, Verdi a pensé renoncer à la composition, suite au décès de deux enfants en bas âge, Virginia (1838) et Icilio (1839), à celui de sa femme Margherita (1840), puis au fiasco d’Un giorno di regno, un dramma giocoso écrit à la diable et présenté aux Milanais le 5 septembre 1840. Le maestro s’installe dans une pension peu reluisante, tout prêt, semble-t-il, à vivre de leçons de musique.

Ancien élève de Mayr et directeur de La Scala entre 1836 et 1850, Bartolomeo Merelli croit pourtant toujours à l’avenir du compositeur d’Oberto (1839). Il insiste pour que Verdi s’intéresse à un livret de Temistocle Solera, inspiré par un drame à quatre mains d’Anicet-Bourgeois et Cornue : Nabuchodonosor (1836). Deuxième des quatre rois à porter ce nom, l’homme régenta l’empire babylonien dans la première moitié du VIe siècle av. J.-C., avant d’apparaître comme personnage de l’Ancien Testament, avec le double visage d’assiégeur de Jérusalem, responsable de déportations, et d’instrument aux ordres d’une volonté supérieure. Verdi se remet à écrire en mai 1841, livrant pour l’automne une partition bientôt couronnée par une cinquantaine de représentations scaligères.

Filmée à Londres en avril 2013, cette production réunit Nicola Luisotti, à la tête d’un Orchestra of the Royal Opera House aux cordes moelleuses, et le metteur en scène Daniele Abbado, qui plonge le spectateur dans les années trente-quarante du XXe siècle, en un temps où la différence religieuse est stigmatisée à l’extrême. Mais toute allusion trop nette au nazisme est évitée, au profit d’une certaine intemporalité des éléments du décor (sable, pierre, feu et livres). On y apprécie une vidéo discrète – censée briser un statisme tout relatif ? – et une violence édulcorée, loin de la complaisance qu’auraient tentée d’autres projets.

Sur scène, sans trop de dégâts, Plácido Domingo porte le rôle-titre écrit pour baryton, mais sa couleur de ténor destabilise grandement. En revanche, nulle réserve avec Lioudmila Monastyrska (Abigaille) qui maîtrise assez sa puissance pour la canaliser vers d’exquises nuances (Anch’io dischiuso un giorno..., Acte II, Scène 1). Vitali Kowaljow (Zaccaria) possède un chant naturel, une projection facile ainsi qu’un legato impeccable. Avec rondeur et onctuosité, Marianna Pizzolato (Fenena) sait mettre en valeur une belle couleur vocale. Seul Andrea Carè (Ismaele) déçoit vraiment, dépourvu d’attaques franches. Enfin, le chœur maison n’a pas à rougir de sa prestation ; il mérite d’incontournables applaudissements à l’issue de Va, pensiero.

Sous-titrés en anglais quand on y parle russe ou italien, deux brefs documentaires complètent cette captation (environ cinq minutes chacun) , dont une rencontre avec le couple-vedette, en loge et en répétition. D’Abigaille incarnée d’une façon souvent touchante, le soprano ukrainien dit une chose essentielle : « le fait qu’elle veuille le pouvoir ne veut pas dire qu’elle est mauvaise ».

LB