Chroniques

par bertrand bolognesi

Guy Erismann
Antonín Dvořák, le génie d'un peuple

Fayard (2004) 492 pages
ISBN 2- 213-61823-2
Antonín Dvořák, le génie d'un peuple, par Guy Erismann

L'aventure de ce livre remonte au début des années soixante : Guy Erismann réunit alors une documentation foisonnante et publie un premier ouvrage présentant Antonín Dvorák, compositeur bohémien dont les milieux musicaux français de l'époque se gaussent volontiers, par ignorance pour la plupart. Après cette tentative louable d'éclaircissement, l'auteur fit paraître au fil du temps des biographies de Janáček, Smetana, Martinů, et tout dernièrement, suivant une admirable logique, un essai sur La musique dans les pays tchèques qui promet de demeurer longtemps la somme incontournable sur le sujet.

Son impressionnant Dvořák : le génie d'un peuple se nourrit naturellement de quarante ans de recherches, de rencontres, d'écoute, de voyages et avant tout cela d'une passion véritable qui en font une publication précieuse à tout point de vue. S'ouvrant sur un tableau de prononciation des caractères spécifiques de l'alphabet tchèque afin de nous aider à entrer dans une certaine couleur sonore durant notre lecture, cette biographie invite à mesurer l'importance de l'arrivée de son personnage dans le paysage musical de son pays en revenant avec autant de précision que de concision sur l'histoire des pays tchèques, décrivant très clairement le contexte lié à la frustration des compositeurs baroques nés dans les provinces de Bohême qui durent aller chercher gloire et célébrité à Berlin, Dresde, Mannheim, Paris, Venise ou Vienne, et sur la méconnaissance occidentale des plus importants : ceux qui restèrent dans leurs petites villes, ferment indispensable aux futurs Smetana, Fibich, Dvořák, Foerster, Suk, etc.

Pendant la période dite des Ténèbres, la musique, souvent fécondée par un besoin identitaire de retour au folklore dû à une domination germanique dépréciative, put devenir le lieu même de la conservation de la langue mère, alors que l'allemand est officiellement celle de la culture. Bien avant l'arrivée de la souveraineté tchèque (1918), c'est précisément un musicien qui imposerait l'opéra en langue tchèque, Bedřich Smetana ; de même Dvořák saura-t-il intégrer son propre terreau à sa connaissance des procédés étrangers, renonçant à sa fascination première pour Wagner, jusqu'à incarner peu à peu la musique nationale dans l'esprit du monde entier.

Guy Erismann, s'appuyant toujours et humblement sur les travaux du compositeur et musicologue Jarmil Burghauser, nous emmène dans la maison natale à Nelahozeves, nous fait assister aux premières leçons avec les kantors Josef Spitz et Antonín Lehmann à Zlonice, puis à celles de Frantíšek Hanke à Česká Kamenice, raconte trois ans d'étude à l'école d'orgue de Prague, puis les premiers concerts où le jeune homme tient le violon, en quatuor ou dans l'orchestre du Théâtre provisoire, enfin la naissance d'une œuvre que l'on suivra parallèlement à l'exposé d'une vie, à travers des analyses claires et pertinentes.

Le lecteur suivra avec une certaine excitation l'évolution d'une carrière brillante vis-à-vis de laquelle Dvořák lui-même sut prendre quelques distances salutaires pour préserver une vie de famille et sa paix intérieure, partira avec lui à New York pour retrouver avec d'autant plus de joie la calme Vysoká (résidence d'été) trois ans plus tard, jusqu'à la création de la célébrissime Rusalka à Prague le 31 mars 1901. Le tome se referme sur une belle invitation au voyage, sorte de répertoire des lieux dvořákiens, et offre en annexe une étude du maître sur la musique de Schubert.

BB