Chroniques

par bertrand bolognesi

Heitor Villa-Lobos
pièces pour guitare

1 CD Transart Live (2006)
TR138
Heitor Villa-Lobos | pièces pour guitare

Étrangement, certains instruments aux répertoires plus qu’étendus forment des ilots regardés d’un peu loin par la plupart des oreilles mélomanes. C’est le cas de la harpe, de l’orgue, mais aussi de la guitare. Ce que ces médiums ont peut-être en commun ? Paradoxalement le pouvoir de mêler dans leur seul nom plusieurs mondes. Ainsi l’orgue est-il aussi bien celui d’un continuo d’opéra händélien que de barbarie, de cinéma ou des sépulcraux tremblants de Sainte Cécile d’Albi, de même que la harpe est tour à tour élégante colonne de salon, grande prêtresse orchestrale enrubannée de dorures, celtique, africaine ou encore électrique et qu’on connaît à la guitare de nombreux adjectifs (désignant la pratique qu’on en fait ou la prothésie à laquelle on la soumet), elle aussi électrique à ses heures, mais encore folk, classique, hawaïenne, etc. Alors qu’ailleurs il reste difficile aux pianistes de jouer entre amis autour d’un gentil feu estival, il n’est pas si fréquent, dans la sphère classique, que l’on accorde à un guitariste de s’adresser au plus grand nombre.

En juillet 2004, Filomena Moretti charmait le public du Manège, lors du festival Les Flâneries Musicales d’Eté de Reims, comme en témoigne le passionnant enregistrement que publie aujourd’hui Transart live, selon la formule habituelle. Bien avant les festivités de l’Année du Brésil en France (2005), la musicienne sarde avait choisi d’honorer l’œuvre d'Heitor Villa-Lobos dont il demeure plus aisé d’entendre, çà et là, quelques-unes des Bachianas brasileiras ou de rares pièces pour piano. Outre l’héritage de l’inspiration volontiers mélancolique mais toujours inventive des chorões, la musique pour guitare de l’illustre Brésilien se teinte des souvenirs de Bach (Prélude 1, entre autres), bien sûr, et plus étonnamment de Debussy (Prélude 5) ; fruit d’un homme qui partit à la recherche des sources populaires de son pays, elle en affirme somptueusement la diversité (Prélude 8, et surtout la fascinante Suite popular brasileira qui souligne précisément les géniales impuretés où tout folklore – et particulièrement celui des Amériques – trouve son ferment).

Se jouant sans ostentation des écueils virtuoses de ces opus, Filomena Moretti signe ici un disque exceptionnel dont on saluera la sensibilité. Répondant aux exigences de tonicité de certains traits, fondant les mélodies savamment portées de son jeu dans les rythmes parfois moins simples à tenir qu’à écouter, c’est avant tout l’émotion qu’elle distille superbement. Sans doute son interprétation du Prélude Op.25 n°11 illustrera-t-il le plus évidemment ce propos, voyageant d’un plaintif legato résonnant à un âpre ostinato exactement tenu.

BB