Chroniques

par anne bluet

Igor Stravinsky – Piotr Tchaïkovski
Deuxième suite de L’oiseau de feu – Concerto pour violon Op.35

1 CD Cascavelle (2005)
RSR 6193
Stravinsky – Tchaïkovski | œuvres pour orchestre

Saluons d'emblée la première publication d'une nouvelle collection qui fera date, offrant à l'auditeur un patrimoine précieux : celui des grands moments du Septembre musical de Montreux. On ne dira jamais assez à quel point il est salutaire de faire sortir d'archives glacées, car exclusivement visitées par de rares oreilles autorisées, des documents essentiels au patrimoine musical. Ainsi ce concert du 7 septembre 1953, judicieusement choisi pour inaugurer une série ô combien prometteuse ! Il ne s'agit pas pour nous de se tourner vers un passé qu'une nostalgie malvenue rendrait glorieux, mais au contraire de constater comment une passion, à travers l'histoire de l'interprétation qu'on en peut dresser alors, se transmet, évolue, et ne change pas, au fond. Il y eut de très grands artistes autrefois, il y en a d'aussi grands aujourd'hui, leur expression les éloigne ou les rapproche les uns des autres, dans une excellence où ils se retrouvent.

À la grâce, à la tendresse presque féminine du chant du violon de Nathan Milstein répondait, ce soir-là, à la tête du Gürzenich Orchester Köln, un André Cluytens ciselant de la précision et du tranchant d'un ciseau un accompagnement vif et clair. L'enthousiasme ne trompe pas : les festivaliers d'il y a plus d'un demi-siècle applaudissaient l'issue du premier mouvement du Concerto en ré majeur Op.35 de Tchaïkovski… Dans une couleur plus ronde, Cluytens introduit avec une retenue ouatée la Canzonetta que Milstein semble entonner en lévitant. Pas de grands effets : élégance et sensibilité dominent une lecture discrète et inspirée où l'on est saisi par l'égalité du flux violonistique. Les bois posent alors leurs brèves ponctuations comme des encouragements attentionnés, comme l'on prend la main d'un convalescent. La tonicité de l'Allegro vivacissimo n'en contraste que d'autant plus ! Le soliste tient le public en haleine par les hésitations tendues du motif introductif, puis se lance dans une bondissante et fiévreuse course d'une fraîcheur exquise. Là, Cluytens ménage une sonorité un rien précaire qui souligne le caractère pastoral des suspens, ce qui ne l'empêche pas de recourir plus tard à un certain gras pour mieux souligner la suavité de la danse dans ses abandons. Rien ici de spectaculaire, pourtant : c'est la pensée qui domine, jusqu'à l'exaltation beethovénienne croisée des souvenirs belcantistes.

C'est dans un tout autre univers que nous transporte l'autre œuvre au programme de ce concert. Dessinant les sons comme des gravures de Bilibine, André Cluytens nous invite dans le climat féerique et inquiet de la 2ème Suite de L'Oiseau de feu, livrant un Stravinsky tonique dont il soigne le moindre trait. À ceux qui parfois oublient l'exigence de cette musique, à d'autres qui confondent une esthétique de coiffures faussement négligées qui se perd en pose et une interprétation réellement inspirée, nous conseillons d'écouter attentivement celle-ci, proche à plus d'un titre de ce qu'un Boulez put livrer un peu plus tard, sans que cela n'entrave l'épanouissement de la Ronde des princesses en un souple tableau symboliste. Bien sûr, Katcheï n'en est que plus terrible !

AB